Le syndrome du cordonnier, roman de Sébastien Rutés
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La signification du titre est donnée en page 99, et aussi en page de garde, dans cette citation de Pline l’Ancien : Ne supra crepidam sutor iudicaret, soit : « Cordonnier, tiens-t’en à la sandale », ou plus précisément « Evite de porter un jugement qui dépasse ta compétence. »
Augustin Cami, le beau gosse héros de ce roman en forme de fable, passe tellement de temps à exprimer ses convictions (libertaire, écologiste, allergique à toute forme de pouvoir …) qu’il ne trouve plus celui de s’en forger. Pressé par l’injonction sociale d’opiner, il endosse dans l’urgence les idées que son public attend de lui, prend machinalement le contrepied de ses adversaires politiques ou se fait l’écho des points de vues de ceux de son camp, lesquels recourent au même expédient.
Auteur à succès d’un unique premier roman, il vole de plateaux télés en interviews, où il se pavane en tant qu’écrivain aventurier, écrivain voyageur, écrivain prolétaire, ne résiste à aucune sollicitation de ses fans (mais surtout de son agent et de son éditrice qui le pressent de s’atteler à un second ouvrage), passe de heures sur tous les réseaux sociaux.
Et puis, il subit une grosse dépression ...
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L’auteur, lui, n'en est pas à son premier roman. ll poursuit ici les thèmes qui lui sont chers : les arcanes de la création littéraire, l’imposture, les ravages de la technologie, la célébrité envahissante, la communication omniprésente et le panurgisme béat des admirateurs et admiratrices avides de selfies. Le style est élégant – c’est ce qui m’a permis d’aller jusqu'au bout du livre – mais on se lasse vite des références littéraires, musicales et publicitaires des années 80, des personnages loufoques aux prénoms rares.
Certains de ces personnages recèlent naturellement une clé, comme ce leader d'une formation politique d'extrême gauche ... mais je n'ai pas su en décrypter d'autres ...
C’est surtout une réflexion philosophique sur le pouvoir et ce que l’on en fait – ou pas – empaqueté dans une critique un peu facile de la société médiatico-idéologique qui conduit à la violence lorsqu’on n’a plus les mots pour exprimer des idées.
Une satire acide, réaliste et parfois drôle. Augustin est assez sympathique, par exemple dans sa relation avec les femmes et surtout sa fille Camille, une adolescente de 13 ans, qui semble à elle seule emporter avec elle le bon sens et la distance nécessaires à la survie dans notre monde de brutes.
Le syndrome du cordonnier (Le pouvoir), roman de Sébastien Rutés, édité chez Gallimard NRF, 290 p., 20€