Lettres d'une Péruvienne, roman épistolaire de Françoise de Graffigny (1747)
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Je poursuis la découverte des textes prescrits au Bac de Français … et qu’on pourrait tout aussi bien suggérer à bien des gens de ma connaissance.
Nicolas Sarkozy, lors d’une de ses punchlines, m’avait fait souvenir que, dans ma jeunesse peu riche en lectures, je n’avais jamais ouvert La Princesse de Clèves sur l’étude de laquelle, selon ses dire, « il avait beaucoup souffert ». Et pourtant, à 60 ans passés, j’avais adoré ce roman !
Les lettres d’une Péruvienne m’ont de la même manière beaucoup intéressée. Publié une première fois de manière anonyme en 1747, puis à nouveau et de manière enrichie en 1752, ce roman épistolaire aura connu 138 rééditions jusqu’en 1855, traduit en neuf langues et fut l’un des premiers best-sellers de la littérature française avant de tomber dans l’oubli au XIXème siècle puis exhumé par le mouvement féministe au XXème.
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Son autrice, Françoise de Graffigny (1695 – 1758) n’eut pas une vie facile.
Mariée à 17 ans à un jeune officier porté sur l’alcool et violent, leurs trois enfants disparurent en bas âge. Françoise obtient, 6 ans après son mariage, une séparation de corps (tiens, tiens, un peu comme George Sand ..). Elle doit vivre de sa plume et servir de compagnie à de grandes dames fortunées. Elle fréquente les salons, est amie de Voltaire et d’Emilie du Châtelet comme des figures des Lumières. Une fin de vie entre amours déçues, succès et échecs.
Son roman est écrit à la première personne : Zelia, jeune vierge dédiée au temple du Soleil, enlevée par les conquistadors espagnols la veille de ses noces avec Aza, prince Inca auquel elle est vouée depuis l’enfance, et dont elle est éperdument amoureuse. Rachetée par un jeune noble français, elle est transportée en France où elle fait l’objet de toutes les curiosités.
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Sans cesse, elle écrit à son amour lointain - d'abord avec des quipos, ces étranges cordelettes nouées qui servent de système d'écriture des Incas, puis en écrivant en français, ne sachant s’il est vivant, ni comment le joindre.
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Peu à peu, elle commence à apprendre le français et les extraordinaires nouveautés de la civilisation inconnue qui l’environne. Son bienfaiteur, tombé lui aussi amoureux de cette beauté exotique, se heurte cependant à la fidélité absolue de Zelia pour son premier amour. Même après que celui-ci, venu lui aussi en Europe et converti au catholicisme, se montre infidèle et l’abandonne.
L’intérêt pour cet ouvrage relève de la critique de la société de son temps. A ce titre, il s’inscrit dans le mouvement des Lumières, qui prône la mise en doute de tout ce que l’esprit doit connaître : après des siècles d’obscurantisme – notamment religieux – la raison serait désormais en mesure de régenter la vie des hommes.
Autre thème de réflexion : les Lumières sont ils un concept réduit à une idéologie exclusivement occidentale et essentiellement masculine. Thème très actuel, n’est-ce pas ?
Entre les lignes des lettres de Zelia transparaît la critique de la société du XVIII ème siècle : les profondes inégalités sociales (Lettre 20), la fatuité des divertissements (L.28), la censure, l’inconséquence et la médisance (L. 30), le mépris et la dépendance des femmes (L. 31 et 34), la pratique des duels, le goût effréné du superflu (L. 29), le faux brillant de l’esprit, la vanité de paraître opulent et de dépenser au-delà de son revenu en opprimant les plus humbles…
A la fin, Zelia qui subit une triple contrainte – étrangère exilée, femme, sans ressources et donc « hors classe », choisit la solitude et la liberté, et l’amitié de son bienfaiteur amoureux mais qui doit s’en contenter.
Une héroïne pré-féministe, en effet. J’aimerais bien être une petite souris dans une classe de première d’un lycée de « zone sensible » pour voir les réactions des ados contemporains devant un tel texte !
Lettres d’une Péruvienne, roman épistolaire de Françoise de Graffigny, publié chez Folio+ Lycée, 264 p., 3€
N.B. : une édition très complète, un peu savante parfois, mais accessible et bourrée de judicieux conseils pour affronter les épreuves écrites et orales du Baccalauréat de Français.