L'Âge global - Europe, de 1950 à nos jours, par Ian Kershaw
L’immense historien britannique Ian Kershaw (né en 1943) nous raconte ici l’histoire de notre temps.
Cette période contemporaine que notre génération a vécue dans son petit coin, sans en mesurer les implications et les tendances de fond, sautant de crises en crises sans en comprendre toujours les tenants et les aboutissants. Notre Europe a pourtant connu bien des vicissitudes, moins meurtrières que celles de la période précédente, si brilllamment décrite dans le premier tome de cette œuvre gigantesque « L’Europe en Enfer » qui en constitue le premier volet.
Ce livre m’a profondément impressionnée.
Il nous explique de façon très accessible, à la manière d’un râteau griffant inexorablement la surface de l’histoire, comment simultanément chaque pays d’Europe, de la Grande-Bretagne à l’Ukraine, de la Finlande au Portugal, à ouest comme à l’est du Rideau de fer, a évolué, bâti son identité, subi les crises cycliques qui les ont frappés pendant ces soixante-dix années.
« D’immenses progrès économiques transformèrent le continent. Le souvenir des guerres mondiales s’éloigna peu à peu, même si leur ombre a continué de planer sur les esprits.
L’Europe était désormais un continent divisé, vivant sous une menace nucléaire, qui prit parfois des contours terrifiants. Ses habitants perdirent la maîtrise de leur destin, dicté par la guerre froide qui opposait les États-Unis et l’URSS, et se trouvèrent « précipités » dans une série de crises qui menaçaient de les faire basculer dans la catastrophe. Il y eut des succès éclatants : la dissolution du bloc soviétique, la disparition des dictatures et la réunification de l’Allemagne. L’accélération de la mondialisation, la dérégulation financière, la naissance d’un monde multipolaire, la révolution des technologies de l’information ont produit de nouvelles fragilités. L’enchevêtrement de crises qui ont suivi 2008 a été l’avertissement le plus clair adressé aux Européens : la paix et la stabilité ne sont aucunement garanties et le continent pourrait bien connaître de nouvelles fractures. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère d’incertitudes. »
L’Europe a connu l’équilibre de la terreur nucléaire après la guerre de Corée, la fin des empires coloniaux, la désindustrialisation, la destruction des syndicats qui émousse la lutte des classes, la disparition de l’antagonisme entre la France et l’Allemagne, la guerre du Vietnam, le nettoyage ethnique en ex-Yougoslavie, l’effondrement du bloc soviétique, la réunification allemande, l’abandon du keynésianisme pour le néolibéralisme. Mais les structures démocratiques ont finalement tenu bon, la coopération entre les gouvernements des pays occidentaux a été efficace. Cependant, l’Europe dans son ensemble, a glissé à droite.
Aujourd’hui, l’Europe doit faire face à de nouveaux défis : dans une société libre et ouverte, il est impossible d’assurer une sécurité totale contre les actes terroristes. Le terrorisme fait désormais partie du prix de la liberté dans les sociétés mondialisées. L’Europe doit s’unir pour faire face aux vagues migratoires, et surtout trouver des solutions pour maîtriser la catastrophe climatique à venir.
Les perspectives tracées par Ian Kershaw ne sont pas tout à fait optimistes, et encore, il n’a pas connu la pandémie du COVID. Cependant, sa description des solutions politiques adoptées lors des crises dans chaque pays, selon sa propre histoire et culture est tout à fait passionnante … et relativement encourageante.
Un ouvrage magistral, qui sera un incontournable pour tous les jeunes qui étudieront l’économie et la politique dans les années qui viennent.
L’Âge global, l’Europe, de 1950 à nos jours, par Ian Kershaw – traduit de l’anglais par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat, édité au Seuil – 742 p., 26€