La réforme de l'Etat au XVIIIème siècle, par François Piètri
C’est en lisant la série passionnante de romans policiers historiques d’Anne Villemin-Sicherman que j’ai eu l’idée de creuser un peu plus la carrière d’un des personnages importants de cette saga : Charles-Alexandre de Calonne.
A l’étal d’un libraire historique de la rue Bonaparte, je découvre cet ouvrage qui décrit les tentatives de réformes élaborées au cours du siècle des Lumières qui court de la mort de Louis XIV à la Révolution.
Cette période marque en effet un étonnant effort de perfectionnement des institutions, mais sans cesse contrecarré par les Parlements, gardiens jaloux du passé, s’acharnant à tuer au berceau la liberté naissante.
Quelques mots de l’auteur : François Piètri (1882 – 1966) est un homme politique corse, Inspecteur des finances, plusieurs fois député et ministre (des Communications, de la Marine, des Finances, des Colonies, Ambassadeur en Espagne), sous la IIIème République. Dreyfusard convaincu et philosémite, il participa cependant au cabinet de Pierre Laval et fut décoré de la francisque.
Au-delà de la relation des tentatives successives visant essentiellement à unifier le territoire et surtout à assurer un recouvrement de l’impôt plus efficace afin de réduire un déficit public devenu abyssal – tout comme aujourd’hui – on peut effectivement retrouver dans cette étude écrite en 1934 – année noire pour la République – des tendances pérennes de la société française, ancrées au plus profond de notre façon de « faire société ».
La revue des réformateurs est quelque peu fastidieuse : Vauban (1633 – 1707), Les Physiocrates, l’abbé de Saint-Pierre (1658 – 1743), Mably (1709 – 1785), Mirabeau le Père (1715 – 1789), Turgot (1727 – 1781), Necker (1734 – 1804) et Calonne (1734 – 1802).
Les différents projets tournent tous autour de deux points durs : l'essence divine du pouvoir royal et le concept de représentativité du peuple - l'éternelle question du consentement à l'impôt - face à l’omnipotence royale.
Sous l’ancien régime, il existe comme un « Livre saint » de la monarchie au nom duquel celle-ci voit son autorité, pour souveraine qu’on la prétende, livrée à l’énigme de textes obscurs (comme la loi salique ou le recours aux coutumes de Charlemagne). Aucun des réformateurs de ce temps ne remet en cause la souveraineté royale. Moreau (1715 – 1805), le polémiste d’extrême droite de l’époque, se consacre même à l’apologie d’un pouvoir absolu qu’il souffre de voir disparaître.
Malheureusement, les ministres réformateurs ont rarement le temps de mettre en pratique leur programme du fait d’une constante instabilité ministérielle. Sous le règne de Louis XV, on compte 18 secrétaires d’état aux affaires étrangères, 12 gardes des sceaux, 14 contrôleurs généraux des finances. Quant au déficit budgétaire, à la prise de fonction de Calonne, sur une ressource totale de 600 millions de Livres, la dette publique – y compris les pensions – absorbe 40% du budget, les dépenses militaires 25%, les charges de la Cour 4%, les frais de régie 14%.
On note aussi l’antagonisme permanent entre l’élément administratif en communion de pensée avec la monarchie et l’élément judiciaire se posant en gardien jaloux du passé.
Une analyse impartiale du plan de Calonne le tient cependant pour le corps de réformes le plus vigoureux depuis Maupeou : 18 mémoires, une réorganisation provinciale et fiscale, la suppression des douanes intérieures, une meilleure répartition de l’impôt, l’unification des droits indirects.
Pour acter ces mesures, Calonne convoque l’Assemblée des Notables : 144 représentants des trois ordres nommés es-qualité, répartis en 7 bureaux de 20 membres … et qui se firent contradicteurs et ennemis du projet (les deux ordres privilégiés faisant barrage à toute tentative de diminution de leurs avantages). Sans oublier la cabale orchestrée par Loménie de Brienne et Necker qui tous deux guignaient le poste.
En définitive, ce XVIIIème siècle est celui d’une effervescence de projets de réformes visant à ramener les Parlements à leur mission judiciaire et non plus politique (tiens, tiens, tiens, déjà !), unifier l’administration provinciale en alignant les pays d’élections sur le modèle d'organisation des pays d’état qui bénéficiaient d’une certaine autonomie, à mieux répartir et simplifier la charge fiscale – en particulier sur les ordres qui en étaient exempts – à conforter les libertés individuelles et de penser.
Toutes mesures que les Constituants, puis Bonaparte mettront en place après les avoir trouvées dans les cartons.
La réforme de l’Etat au XVIIIème siècle, essai de François Piètri (1935), 309 p., Editions de France.