Chéri, roman de Colette (1920)

C’est la fin d’une histoire d’amour.

La belle époque, c’est aussi le triomphe des « Grandes horizontales », courtisanes de haut vol qui bâtissaient leur fortune grâce à de richissimes amants qui les arboraient comme des trophées.

Le décor est planté : les hôtels particuliers de Neuilly, de l’avenue Bugeaud, les intérieurs surchargés de pampilles, de lourdes draperies où s’affaire une armée de domestiques : chauffeur, concierge, femme de chambre, cuisinière …

Léa de Lonval est une de ces courtisanes.

Encore belle et désirable, elle brille de ses derniers feux et elle le sait. Elle a bientôt cinquante ans et a pour amant Fred Peloux, qui a vingt quatre ans de moins qu’elle.

C’est le fils d’une autre courtisane, Charlotte Peloux, une ancienne rivale de Léa qui l’a élevé dans du coton, le fils d’une « grue » … comme on disait alors. Leur liaison dure depuis six années.

Chéri est beau comme un Adonis.

Brun, bien bâti, vigoureux – pour moi, c’est Alain Delon jeune - il ne fait rien d'autre que dépenser l’argent de sa maîtresse mais n’est pas un gigolo. Il dispose lui aussi d’une confortable richesse personnelle, qu'il gère avec sagacité. Leur liaison fait scandale dans Paris … elle serait banale aujourd’hui, on parlerait de cougar. Mais, à la veille de la guerre de Quatorze, cela fait jaser. Elle n'en a cure…

Cependant, Chéri va se marier … Il a 25 ans, il épouse la charmante Edmée tout droit sortie du couvent. C'est la coutume. Le jeune couple se fait construire un hôtel particulier à la décoration surprenante. En attendant, ils résident chez la belle-mère.

Léa sait ce qui l’attend.

Elle est raisonnable, elle ne va pas faire de scène. Elle s’éclipse pendant six mois, voyage, prend de nouveaux amants. Mais elle est lucide : elle se voit telle qu’elle est devenue, vieille, et surtout pas faisant une fin avec un vigoureux sexagénaire. Ce qui l’attend est la solitude désormais, malgré toute son élégance, sa résolution …

Ce sera rude. Pour Chéri aussi.

Je n’avais jamais autant apprécié le talent de Colette dans sa description psychologique des sentiments, des scènes érotiques évoquées avec fougue et tendresse, la vacuité de ce jeune dandy à la fois caressant et cruel, velléitaire et de mauvaise foi, né pour faire souffrir les femmes qui l’auront aimé : sa maîtresse et son épouse … la cruauté de Charlotte Peloux, sa démoniaque mère.

On sait aussi qu’il y a bien des souvenirs personnels de Colette dans cette histoire sans issue. Celle d’une liaison avec un homme de 13 ans son cadet, lui aussi immensément riche.

Le roman, publié en 1920, a été adapté en 1948 pour le théâtre avec Jean Marais dans le rôle-titre, puis au cinéma par Pierre Billon en 1950.

Chéri est alors incarné par Jean Dessailly, la mère Peloux par Jane Marken … Plus récemment, j’avais vu la version de Stephen Frears de 2007, dans de somptueux décors Art Nouveau …

C’est là un des multiples chefs-d’œuvre de Colette. Pas démodé du tout … et il a une suite : « La fin de Chéri », publié en 1926 … mais je ne sais pas si j’ai envie de connaître cette fin !

Chéri, roman de Colette, publié chez Fayard, 251 p. et dans la collection « Classiques modernes » de la Pochotèque avec les notes de Francine Dugast – 1622 p. 25,20€

Comments

[HK19]

Il y a eu un bug dans vos fichiers, je crois : j'ai vérifié la date du jour en voyant celle de la publication, que je me souvenais avoir déjà lue et, ouf, le commentaire ci-dessus me rassure, mon impression de déjà-vu était exacte.



Le milieu de [i] Chéri [/i] est le même que celui de [i] Gigi [/i] (mais pour celle-ci, il y avait peut-être eu la collaboration de Willy).



J'avais une fausse idée de Colette par les dictées et textes vus en classe, je l'ai découverte l'année du bac et l'ai appréciée et beaucoup lue, et relue ensuite.

[Binchy]

Lu il y a bien longtemps. Il faudrait que je prenne le temps de relire mes classiques. Ils sont tous dans l'une de mes bibliothèques. La bibliothèque des livres que je garde précieusement.

Bel après-midi à vous deux.

Amitiés.

Bernadette.