C'était la guerre d'Algérie, documentaire de G-M Benhamou et B. Stora
En regardant cette série documentaire en cinq épisodes de Georges-Marc Benhamou et Benjamin Stora, je pense naturellement à ce qui se passe sous nos yeux en Ukraine. Et une foule de souvenirs de ma jeunesse m'envahissent …
Déjà, alors, (j’avais 12 ans en 1958), il y avait des mots tabous : on parlait des « événements », d’opérations de "maintien de l’ordre", de « pacification ». La même phraséologie russe d'aujourd'hui. C’était pourtant bien une guerre, longue, cruelle, meurtrière, inutile car les guerres coloniales n’ont aucune chance d’être remportées - et surtout pas moralement - par les puissances impérialistes. L’aspiration à l’autodétermination est totalement légitime, littéralement irrépressible …
Souvenons-nous des gravures de Goya sur les horreurs de la guerre ... contre les Français.
Cette guerre-là, celle de mon enfance où mon beau-frère, jeune ingénieur sursitaire était engagé alors qu’il était déjà père de deux enfants, nous attendions qu’elle cesse, le plus vite possible, « quoi qu’il en coûte ». Et surtout lorsqu’elle s’est transportée en métropole avec la multitude des attentats … ceux de l’OAS comme ceux des factions rivales (FLN et MNA).
Ce documentaire - qu'il faut faire voir aux jeunes générations - explique la fureur et la haine résiduelle qui empêche encore aujourd’hui une franche réconciliation (et pourtant, nous l’avons réussie avec les Allemands !).
Il met en lumière les témoignages des humbles comme des grandes figures du conflit : Albert Camus l’écrivain engagé, Ferhat Abbas et Messali Hadj, les pionniers du nationalisme algérien, François Mitterrand, Jacques Soustelle l’ethnographe devenu un ultra, Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed, Houari Boumediène, Massu et Germaine Tillon, Yacef Saâdi, Maurice Audin, Nicole Garcia, Pierre Joxe, les tristes généraux du putsch d’Alger, le "coup d’Etat" orchestré par Léon Belbecque et Lucien Neuvirth pour amener Charles de Gaulle au pouvoir, qui mettra en œuvre la terrible politique de fin de conflit avec sa conséquence immédiate : un million de rapatriés en quelques semaines, des dizaines de milliers de harkis abandonnés à la vindicte de ceux qui les considéraient comme traitres.
Ce que j’ai compris en regardant la pauvreté des villages des djebels, et qui me conforte dans le sentiment que la colonisation fut un immense gâchis dans le monde entier, c’est que c’est seulement sur les derniers mois de cet âpre conflit qu’une ténue politique de soutien des populations des campagnes fut entreprise par les appelés dans le cadre des SAS.
L'un des témoins aujourd'hui journaliste se souvient de cette phrase de son père : "La France Te blesse et te soigne".
La Troisième République, toute imprégnée des principes des Lumières et de la scolarité gratuite et obligatoire, n’avait pas jugé utile ni nécessaire d’en faire bénéficier les enfants des douars. Seuls une poignée d’enfants de notables y eurent droit. Et puis les hommes qu’on avait recrutés pour venir combattre – la première puis la seconde guerre mondiales – et qui imaginaient que la Patrie leur en serait reconnaissante. Eux aussi avaient goûté à l’odeur de la modernité … Ce n'est pas par hasard si les premiers massacres - suivis de répression - surviennent le 8 mai 1945 à Sétif.
On dit souvent que les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. Les Accords d’Evian, en mars 1962, terminèrent le conflit de façon bancale entre la France et l’Algérie bientôt indépendante … donc aussitôt elle aussi, comme tout pays souverain, confrontée à la lutte pour le pouvoir.
Je me désole que 60 années après, nous n’ayons toujours pas – des deux côtés de la Méditerranée – ni reconnu ni oublié.
Les rancœurs accumulées depuis la conquête de 1830 et la confiscation des terres, l’abandon des populations, le mépris et l’exclusion, le racisme, les trahisons, les attentats aveugles et les règlements de comptes, la torture et les enlèvements, la fuite de toute une population européenne arrachée à un pays qu’elle pensait être le sien … aussi.
J’ignore comment la guerre en Ukraine va évoluer dans les prochaines semaines – ou mois ? ou années ?
Les adversaires vont-ils conclure un cessez-le feu ? Y aura-t-il de nouveaux engagements bafoués, des massacres de civils, des affrontements fratricides …
C’est quoi, le progrès aujourd’hui ?
C’était la guerre d’Algérie, documentaire en 5 parties de Georges-Marc benhamou et Benjamin Stora, commentaire dit par benoît Magimel, diffusé sur France 2 les 14 et 15 mars.