Le Monde et ses lecteurs sous la IVème République, analyse d'Abel Chatelain
Pourquoi ai-je acheté - d’occasion – ce livre de sociologie de la Presse déjà fort ancien (1962) ?
Deux raisons : son auteur Abel Chatelain (1910 – 1971) était le professeur d’histoire de mon mari au lycée Jacques Decour. Il fut celui qui lui a donné le goût de la politique et de l’histoire et a provoqué chez lui l’addiction au journal Le Monde. Et puis, parce que j’ai lu avec étonnement le livre de Pierre Péan et Philippe Cohen portant sur la période où la direction de ce journal était assurée par Jean-Marie Colombani, Edwy Plenel et Alain Minc.
Cet ouvrage décrit les circonstances de la naissance du journal par Hubert Beuve-Méry (1902 – 1989), appelé par le général De Gaulle à créer, à l’automne 1944, un journal de référence destiné à remplacer Le Temps, qui fut l’organe officieux du ministère des Affaires étrangères.
Cette période de la IVème République, si intense avec la fin de la guerre, les premiers conflits coloniaux, la Plan Marshall, le Pacte Atlantique, la menace soviétique omniprésente, l’instabilité ministérielle chronique, le retour aux affaires du Général …
Dès le départ, Le Monde est voué à de violentes critiques : les communistes prétendent qu’il est l’organe des puissances d’argent, l’extrême-droite qu’il est inféodé au bloc soviétique.
En réalité, tout repose sur la personnalité exceptionnelle de son directeur unanimement reconnu comme Alceste de la Presse, d’une probité inflexible, mais aussi d’une franchise intransigeante et un peu brutale, le faisant redouter même de ses meilleurs amis.
La caractéristique majeure d’Hubert Beuve-Méry est de diriger un journal d’une honnêteté intellectuelle absolue, pratiquant une indépendance politique et financière totale.
A tel point que ses positions dubitatives envers la solidité de l’Alliance Atlantique provoquent d’immenses remous le conduisant à démissionner en juillet 1951. Cette crise majeure provoque un mouvement de révolte de la part de la Rédaction, qui exige et obtient une participation à la propriété du quotidien (création de la Société des Rédacteurs du Monde en octobre 1951) et le retour de son Directeur.
Autre tentative de démolition : le lancement à coups de millions d’un journal concurrent « Le Temps de Paris » en avril 1956, qui s’avère au bout de 66 jours un fiasco magistral.
Le Monde sous la direction d’Hubert Beuve-Méry (ici à gauche), est rapidement devenu le journal de référence en France et à l’étranger : « un organe incomparable pour son objectivité, le sérieux de sa documentation et la sureté de ses informations. C’est déjà beaucoup. Mais ce qui est mieux, c’est le souci d’indépendance dont HBM et ses collaborateurs de la rédaction ont toujours fait preuve. »
En est-il toujours de même aujourd’hui ? Je ne peux me prononcer car je le lis rarement – mais je mesure les terribles révélations de Péan et Cohen dans certaine dérive des années 1994 à 2003 …
En tous cas, l’histoire de ce journal durant ces années qui nous paraissent si lointaines, dans un monde toujours aussi dangereux, est digne d’un thriller …
Le Monde et ses lecteurs sous la IVème République, par Abel Chatelain, publié chez Armand Colin – collection Kiosque – en 1962 – 280 p.