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Journal de bord d'une grand-mère grande lectrice et avide de continuer à apprendre, de ses trois filles et de ses 7 petits-enfants.
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20 février 2008

Affaire terminée, j'arrive ! - Chapitre 12 (1)

Chapitre 12 : Heimweh (1)

Jean : Un jour que je suis de renfort dans une équipe de béton, je me chamaille violemment avec le chef de chantier, en venant presque à nous battre : je ne laisse pas le temps aux hommes de mettre le ciment dans la bétonnière, et il s'en est aperçu. Le lendemain, je suis renvoyé à Stagard. Les plus marris sont les gardiens, qui perdent ainsi leur secrétaire. Arrivé au camp administratif, avant que mon cas ne soit jugé, je me glisse dans le premier commando en partance. Nous sommes une centaine.

bremenNous arrivons à Brême, dans un camp assez vaste, camouflé en quartier ouvrier par l'apport de charpentes pentues sur le toit de nos baraques, et qui se trouve juste dans le prolongement d’un terrain d’aviation. Nous sommes nombreux, et chaque matin nous partons par petits paquets, pour nous rendre en ville, à diverses corvées. Le contact avec les civils est assez facile, aussi le marché noir et le troc battent son plein. Avec les colis que ma chère Lulu m'envoie régulièrement, surtout le tabac que je lui ai demandé, moi qui ne fume pas, et les sardines, j'arrive à me constituer un petit magot, ce qui me permet d'acheter des vêtements civils.

A Stagard, j'ai lié connaissance avec un Niçois, Jo Chili, avec qui je parle d'évasion à mettre au point. Il est taxi de son état, plus costaud que moi, et me dit faire de la boxe. C'est rassurant et peut toujours servir, le cas échéant ... Nous nous retrouvons tous les deux à Brême, ce qui nous permet de reprendre nos projets. Pour ma part, je travaille sur un grand chantier, au milieu d'un parc public. C'est une grande bâtisse haute de dix mètres, sans fenêtre, dont les murs ont une épaisseur peu commune. Ce bloc de béton est surmonté d'un charmant chalet en bois, qui sert de mess aux officiers d'aviation, qui toute la journée vont et viennent. Il y a très peu d'ouvertures pour rentrer dans ce bloc. Un jour pourtant, je me glisse à l'intérieur, chose strictement "verboten". J'aperçois une immense salle, avec en son centre, une grande glace claire sur laquelle sont tracés des cercles concentriques et d'autres signes conventionnels. Je ne peux en voir davantage car un gardien arrive en gueulant et me fais sortir. Cela ne fait rien. J'ai compris de quoi il retourne.

Le cinq décembre 1941, après une dernière mise au point, que nous croyons minutieuse, à peine arrivé sur le chantier, je quitte ma capote, je troque mon calot pour une casquette civile, modèle commun, et je m'en vais vers la gare. Le copain arrive presque en même temps que moi, et pendant qu'il m'attend, je vais au guichet et demande deux places pour Stolberg, petit patelin proche d'Aix-Ia-Chapelle. Comme nous sommes très en avance, nous faisons à l'extérieur de la gare une petite promenade, jusque dix minutes avant le départ. Tout se passe tranquillement, nous sommes contrôlés pendant le parcours, par une femme qui me dit que ce train ne s'arrête pas à Stolberg, qu'il faudra descendre avant pour prendre la navette. Comme les contrôles sont rares, nous décidons de nous laisser conduire jusqu'à Aix-la-Chapelle, but réel de notre voyage. Nous y arrivons par nuit noire, avec du crachin. Nous sortons de la gare et filons droit devant nous. Au bout d'un moment, je veux vérifier notre cap. Nous cherchons un coin sombre pour nous arrêter et je sors ma boussole. Sous la veste, à l'aide d'un briquet, nous constatons que l'aiguille s'affole. Zut alors, pourquoi ? Nous marchons quelques pas pour nous apercevoir que nous nous trouvons sous un énorme pont métallique. Ouf ! Rien de grave. Deux cents mètres plus loin, et à l'air libre, je refais le point, la boussole marche bien mais c'est nous qui nous dirigeons à l'opposé de notre projet. Rectification.

Nous sortons de la ville vers 21 heures et prenons à travers champs, tout droit. Nous marchons d'un bon pas jusqu'à plus d'une heure du matin, après avoir traversé ruisseaux, chemins, clôtures, toujours tout droit. A un moment, nous traversons une haie vive relativement épaisse, qui clôture un champ. Nous sommes à peine debout de l'autre côté qu'à dix mètres, un garde arme sa mitraillette en criant "HaIt". Inutile de faire les malins, nous sommes faits comme des rats. Alors là, j'entends les récriminations du copain, il n'en finit pas de me dire qu'il l'avait prévu, que ça allait nous coûter cher, etc .... Pourtant, je croyais bien avoir correctement fait mes calculs et évalué les distances parcourues. Je pensais bien être en Belgique depuis quelques kilomètres .... En fait, depuis un bon moment, nous marchions détendus, tout juste si nous ne chantions pas. Pour comble d'amertume, notre gardien nous dit :

    - C'est dommage pour vous, vous n'aviez plus que cinq cents mètres à franchir pour être en Belgique.

    - Merde alors ! Il nous ramène donc vers la ville et, chemin faisant, il m'explique que depuis 1940, la frontière a été déplacée de plusieurs kilomètres, car la région d'Eupen et Malmédy a été rattachée directement à l'Allemagne, comme avant 1914. vous m'en direz tant ! Mon chagrin ne m'empêche pas de bien "photographier" de mémoire le paysage et de prendre des repères, pour la prochaine fois, car il n'y a plus qu'à recommencer. Et le plus tôt possible serait le mieux. Le garde nous emmène à la prison civile d'Eupen. Fouille et confiscation de nos marks civils. Nous sommes enfermés dans une cellule où se trouvent déjà une dizaine de candidats malheureux à l'évasion. Le moral n'est pas abattu pour autant. C'est un vrai marché aux renseignements sur la meilleure façon de s'y prendre pour réussir la fuite, d'autant plus que les murs sont remplis de graffitis nous donnant nombre de conseils. Par exemple : pas de béret basque, pas de paquet sous le bras, tout ça, ça fait trop français. Et surtout ne pas prendre le tramway qui vient d'Aix-Ia-Chapelle, car il passe juste devant la prison et si son wattman a repéré un individu douteux parmi les voyageurs, il s'arrête carrément devant la prison, sonne d'une façon convenue, et le flic de service n'a plus qu'à sortir pour venir le cueillir.

Le surlendemain de notre arrivée, le "Schupo", qui est belge, mais déguisé en allemand, à cause de l'annexion, en nous apportant le café du matin nous apprend l'attaque, par les japonais, de Pearl Harbour. Le moral fait alors une remontée en flèche. Pour le coup, nous sommes certains que les Fritz sont foutus. Mais quand? Difficile à évaluer ... Un matin, un jeune officier tout rutilant entre brusquement dans la cellule et se dirige tout droit vers une cachette, qu'il fait déplacer. Il se met à brailler comme un veau. Nous nous approchons pour voir et à notre surprise à tous, nous découvrons une ébauche de tunnel : le plancher est découpé et le trou doit mesurer un mètre de profondeur sur cinquante centimètres de côté. Du regard, j'interroge tous les copains. Tous innocents. Et l'autre continue à nous abreuver d'injures, en nous disant que pour la réparation, il nous confisque tous nos marks civils. Au moment où il va franchir la porte pour s'en aller, je me plante au garde à vous, et dans mon meilleur allemand, je luis déclare que si c'était pour en arriver à çà, il n'avait pas besoin de jouer cette comédie, dont nous n'étions pas dupes.

Une autre nuit, avec une fourchette tronquée, je parviens à ouvrir notre cellule. Dans le couloir, je vois nos chaussures bien alignées. J'avance jusqu'à la porte qui donne sur l'extérieur. Elle est blindée et inviolable avec les moyens du bord. Pas question d'aller plus loin, mais cela ne fait rien, ces quelques pas m'ont fait du bien. Je reviens dans la cellule, et pour ne pas causer d'ennuis à notre gardien, qui est chic, je referme la porte. Trois ou quatre jours après, un garde en armes vient nous chercher, mon copain et moi, et nous conduit par le train au camp disciplinaire Arnold Willers près de Dürren. Camp sinistre, où il y a déjà beaucoup de Russes, tous dans un état de santé épouvantable. Nous logeons dans une baraque à part, où ne se trouvent que des évadés en rupture de camp. Cette baraque a le privilège, la nuit, de recevoir de temps en temps un coup de fusil de la part d'une sentinelle qui doit s'ennuyer. .. Et c'est comme ça que le copain couchant au dessous de moi a le poignet traversé par une balle. Inutile de faire quoi que ce soit, ils en profiteraient pour tirer en rafales. Le gars se confectionne un pansement d'occasion, et le matin s'en va à l'infirmerie. Ce n'est pas grâve, mais ça flanque tout de même la trouille.

(à suivre)

 

 

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