1940 : les héros vite oubliés ?
A ceux qui protestent contre les malheurs de la crise sanitaire, (même si, comme moi, elle ne nous a pas (encore) touchés), souvenons-nous de ce que les générations précédentes ont enduré, en particulier ces combattants de l'année 40 que personne n'a célébrés au profit d'une exaltation de la Résistance bien plus valorisante pour notre ego national.
Internet est la pire et aussi la meilleure des choses. J'ai fait récemment une rencontre virtuelle particulièrement émouvante. A partir des souvenirs que j'ai publiés dans les colonnes de ce blog, j'ai été contactée par un historien corse, Stéphane Biaggi, qui entreprend des recherches sur les hauts faits des soldats du Premier régiment de Zouaves, celui où mon père se battit en Sarre puis en Champagne en mai-juin 1940. Dans ce régiment en effet se trouvaient un grand nombre de combattants d'origine corse et provenant des départements et territoires d'Afrique du Nord.
Il m'a transmis l'état de ses recherches sur les combats de Ville-Domange les 11 et 12 juin - où mon père s'est illustré. Cependant, j'ai été terriblement émue de lire cette relation très détaillée des combats, surtout en la comparant avec ce que mon père en a écrit dans ses souvenirs, de façon bien plus succincte (cf. "Affaire terminée, j'arrive", Chapitre 9, ou : http://www.bigmammy.fr/archives/2008/02/15/7960642.html)
L'historiographie contemporaine a peu mis en valeur l'héroïsme de ces soldats mal commandés, mal équipés, croulant sous le nombre et l'organisation allemandes - Deutsche Gründlichkeit ! Se référer au récent ouvrage de Dominique Lormier.
Aujourd'hui seulement, on commence à exhumer les archives des combats. Ils n'ont pas démérité ! Jamais je n'aurais imaginé que mon père se fut tiré d'une si dangereuse situation où 26 de ses camarades de combat laissèrent leur jeune vie.
Noël approche, je me souviens de cette fête majeure de mon enfance géniale avec mes parents ... et je mesure que je n'aurais peut-être seulement ne jamais naître !
Les combats du 11 juin à Ville-Dommange
Le sergent-chef Jean Mens affecté à la 10ème compagnie tient depuis la veille le village de Ville-Dommange. Sa compagnie fait partie du 3ème bataillon commandé par le chef de bataillon Marie Charles Édouard Daurensan. La compagnie d’accompagnement du 3ème bataillon, sous les ordres du capitaine Henri Droz, tient le village et vers 7 heures les sections de mitrailleuses viennent renforcer la ligne de feu.
La section où sert le caporal mitrailleur Charles Mimran au moment même où elle prend position, est inopinément attaquée par un ennemi puissamment soutenu par des éléments motorisés. Submergée par le nombre et sans munitions, cette section lutte avec acharnement avant d’être dispersée ou réduite. Au cours de l’actio, le caporal Mimran réussit à rendre sa pièce inutilisable puis à s’échapper; ensuite, errant quelques temps, il rencontre un petit groupe de tirailleurs dont il prend le commandement et, cherchant à rejoindre son bataillon, se heurte encore aux allemands et réussit à leur échapper une fois de plus, après avoir assisté impuissant au massacre des hommes qu’il commande. Le zouave Fernand Blanchet, grièvement blessé est cité et décoré de la médaille militaire pour prendre rang du 24 octobre 1940 : «Zouave courageux. A été très grièvement blessé à la tête le 11 juin 1940, par rafale de mitrailleuse, au cours des combats près de Ville-Dommange.».
La 10ème compagnie, violemment prise à partie par un ennemi supérieur en hommes et en matériel, se sacrifie au cours des combats pour ralentir la ruée allemande. Son chef de section blessé, le sergent-chef Mens prend le commandement de la section et continue à lutter farouchement donnant un nouvel exemple d’énergie, de volonté et de courage. Il est cité à l’ordre du corps d’armée en août 1942 après s’être échappé du stalag de Brême en février 1942 : « Sous-officier d’élite, admirable de courage, d’abnégation et d’énergie. S’est distingué durant les violents combats livrés en Sarre le 12 mai 1940 et jours suivants, puis en Champagne, à Ville-Dommange, le 11 juin 1940 où, prenant le commandement de sa section dont le chef a été blessé, lutte farouchement contre un ennemi qui le déborde de toutes parts, ne cesse de défendre le terrain pied à pied et combat jusqu’à épuisement total de ses moyens.»
À la suite de l’assaut et de la résistance opposée aux troupes allemandes, deux zouaves sont fusillés dans le village de Ville-Dommange, selon les dires du sergent-chef Schall. Ces faits ont été rapportés au colonel Fromentin en mai 1941. Il s’agit du sergent Marcel Chatenoud, de la 10ème compagnie et du zouave Colin, appartenant à la 2ème compagnie.
Le sergent-chef Roger Schall est décoré de la médaille militaire pour prendre rang du 1er avril 1942 :«Attaqué, le 11 juin 1940, à Ville-Dommange, par une colonne motorisée ennemie, alors qu’il venait d’arriver sur la position, a tenu en échec l’adversaire pendant plus de 3 heures lui causant des pertes sévères et permettant aux autres éléments de la compagnie de venir s’installer à sa hauteur. Le 15 juin, a participé activement avec des éléments regroupés sous son commandement à 2 attaques pour essayer de franchir les lignes allemandes. A été blessé grièvement le 16 juin au cours d’une attaque.»
Le 2ème classe François Dauge, affecté à la 10ème compagnie, résiste avec énergie aux attaques allemandes et il est grièvement blessé pendant l’assaut. Il décède des suites de ses blessures à Troyes deux jours plus tard à l’hôpital complémentaire. Classe 1935, matricule 23 au recrutement d’Auch, Dauge est cité et décoré de la médaille militaire à titre posthume par décret du 15 septembre 1943: «Jeune zouave animé du plus pur esprit de sacrifice et des plus belles qualités morales. Très grièvement blessé, le 11 juin 1940, à Ville-Dommange, alors qu’il tentait avec une énergie farouche de s’opposer à la ruée ennemie. Est mort des suites de ses blessures.»
Les hommes de la section de l’adjudant-chef Giacomaggi se battent comme des lions et se replient en fin d’après-midi après avoir semé la mort parmi les troupes assaillantes. L’adjudant-chef Jean-Dominique Giacomaggi, chef de section de la 10ème compagnie, est cité à l’ordre de la 82ème DIA le 7 juillet 1941: «Sous-officier d’élite très aimé de ses hommes. A donné en toutes circonstances le plus bel exemple de courage et d’énergie. Le 11 juin 1940, à Ville-Dommange, a résisté avec une énergie farouche pendant 9 heures aux attaques d’engins blindés.»Cette citation comporte l’attribution de la croix de guerre avec étoile d’argent.
Au cours de cette sanglante journée, 26 zouaves et sous-officiers trouvent la mort et une centaine de blessés sont évacués ou tombent aux mains de l’ennemi.