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Journal de bord d'une grand-mère grande lectrice et avide de continuer à apprendre, de ses trois filles et de ses 7 petits-enfants.
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18 février 2008

Affaire terminée, j'arrive ! - Chapitre 11 (1)

Chapitre 11 (1) Défaite et misère

 

Jean : Après plusieurs jours de marche assez pénibles étant donné la longueur des étapes, nous arrivons à Meaux, dans une caserne de cavalerie. Nous sommes nombreux, trop nombreux hélas, et nous avons faim, très faim. Il y a quand même une roulante. Devant moi, faisant la queue, comme tout le monde, un général à deux étoiles, tenant dans ses mains en guise de gamelle, un phare de voiture. C'est vraiment la défaite et la misère. Le 13 juillet au soir, Je suis faible et très démoralisé. Je me pelotonne dans un coin, avec la conviction que je ne me réveillerai plus, c'est plutôt triste, mais je ne suis pas seul dans ce cas.

prisonniers_fran_aisCinq heures du matin, j'ai un frisson, j'ai froid, donc je ne suis pas mort et surtout je ne veux plus mourir. Il faut absolument réagir. Je me lève tant bien que mal et, entre un brin de toilette et quelques mouvements, ça repart….Avec cinq autres prisonniers, nous sommes désignés pour une corvée extérieure. Nous sommes logés dans un collège de jeunes filles, au milieu d’une unité allemande motorisée. Nous fabriquons des caisses sur lesquelles je dois inscrire des tas de choses, en prévision d’un débarquement en Angleterre. Le travail n’est pas fatigant, la soupe bonne, et nous bénéficiant de bons lits. Aussi la santé revient-elle vite au beau fixe. Le moral aussi. Evidamment, nous avons droit à tous les bobards sur une prochaine libération, ce serait certainement pour le onze novembre, puis pour Noël, bien d’autres encore….Un officier allemand vient un jour me chercher pour goûter le vin d’un tonneau demi-muid. Je ne le trouve pas mauvais du tout. Je lui dis que je trouve qu’il a « de la fleur », que ce n’est pas grave…Mais il n’est pas rassuré. Il fait plutôt la gueule puis d’un seul coup me dit :

- Il est à vous, faites-en ce que vous voudrez ! Nous en avons bu à chaque repas, raisonnablement, puis, comme petit à petit il devenait aigre, nous y ajoutions un peu de sucre que nous avions à discrétion.

Dès les premiers jours de cette période, j’ai acheté tout ce que j’ai pu de livres et cahiers pour apprendre la langue allemande. Cependant, le temps me presse de décamper. Aussi, avec un copain niçois, nous nous procurons des vêtements civils. Nous mettons tout au point et, au moment où nous allons franchir une porte dérobée que nous avions pris soin de crocheter la veille, nous tombons nez à nez sur le sous-officier allemand qui nous avait en charge. Nous avions été vendus par un collègue prisonnier qui avait peur des représailles. Pour être déçus, nous étions déçus. Le sous-off nous a chanté Carmen, en chleuh, bien entendu, mais si fort et avec tant de grimaces et de remontrances que, pour un peu, nous en aurions ri. Quelle serait la sanction ? Départ en Allemagne ou retour au camp ?

Ni l’un ni l’autre car j’avais, sous les ordres de ce même sous-off, commencé de transcrire dans le réfectoire, bien en vue au milieu du mur principal et sur deux mètres de hauteur, l’inscription d’une maxime napoléonienne, en allemand bien entendu et en lettres gothiques. « Chaque soldat a dans sa musette son bâton de maréchal ». L’ouvrage était inachevé. Et cependant, en bon sous-off allemand qu’il était, il se devait de sévir.

Les caves du collège avaient été remplies, sur deux mètres de hauteur, de pommes de terre. Par l’effet de l’humidité de la terre battue, il n’en restait qu’une cinquantaine de centimètre, faits d’une mélasse qui sentait pire que le purin. Et voilà, il avait trouvé de quoi nous humilier. Nous primes la corvée avec humour et, en chantant à pleine voix tous les deux, à l’aide de pelles de terrassiers, nous projetions ce mélange nauséabond à travers les soupiraux qui débouchaient dans une cour où les civils du quartier, en arrosant avec un jet d’eau, trouvaient encore quelques bonnes patates. Le deuxième jour, voyant que nous prenions cette corvée du bon côté, le sous-off descendit nous voir avec une bouteille de cognac, « pour vous désinfecter », nous dit-il. Arrive le 19 décembre. A la suite d’une brouille avec Vichy, tous les prisonniers doivent être dirigés vers l’Allemagne. Transit par Drancy, de sinistre mémoire, puis par Bel-Ebats, encore pire, et embarquement en classe marchandises pour Neubrandenburg, où nous arrivons après trois jours de train assez pénibles.

P1130620

Je ne cherche pas à rester dans ce camp immense, aussi je me faufile, en vitesse, dans un commando en partance. Pour où ? On verra bien. Finalement, ce sera Stettin, Stettinsur la Baltique, où nous ne resterons pas longtemps car nous repartons sur Gulzow, aujourd'hui en Pologne. Nous logeons à environ six cents dans une unique, mais grande baraque. Nous couchons dans des lits à trois étages. Je fais assez vite équipe avec quelques voisins dont André Chipart, Herbert Hattoy, Plazanet, Marel, Deferre et bien d'autres dont les noms m'échappent. Le pays est plat : des bosquets, des lacs, un sol de sable, le temps froid, nous sommes en janvier, le moral est au plus bas. Nous formons un groupe à décharger des briques pleines, qui ont vite fait de nous user nos gants d'occasion en quelques heures, puis s'en prennent aux bouts des doigts où fleurissent des petits ronds sanguinolents. Avec le froid, pardon, c’est loin d’être rigolo. Aussi, piètre satisfaction, pour nous venger, nous tassons la neige, pour faire nos piles bien droites. Quand le dégel viendra, nous aurons le plaisir de voir nos piles bien alignées, toutes par terre, et cassées à 90%. J'ai eu l'occasion d'aller en corvée à quelques kilomètres de notre camp, à l'Oflag IID, où, je l'ai su par la suite, étaient détenus Robert Barré et Armand Lanoux.

Les pauvres, je ne les enviais guère, car comme pour nous, autour du camp c'était le désert à perte de vue, même pas une habitation, des bois et des lacs. De temps en temps passait un train dans le vallon, en faisant sonner son sifflet et sa cloche ... Nous, en commando, nous changions de temps en temps de chantier et de travail, ce qui rendait la vie moins monotone. Mais eux, on les voyait tourner en rond, à longueur de journée, d'un air las ...

Un jour, avec un copain, nous sommes désignés pour aller allumer un brasero dans un hangar neuf, faisant partie de tout un ensemble. L'après-midi, une délégation importante de civils et de militaires vient visiter la baraque. Nous alimentons consciencieusement notre brasero, d'autant mieux qu'il fait très froid dehors. Ces Messieurs s'en vont, après une visite rapide, et nous continuons à entretenir le feu.

Au bout de huit jours, un beau matin, distribution des travaux, le contremaître demande où nous allons.

 - Eh bien, nous allons faire du feu dans la baraque….

J'ai bien cru qu'il allait nous faire une crise d'apoplexie, une colère à se rouler par terre. "C'était juste pour un jour, qu'il fallait comprendre !" Oui, mais voilà, nous avions la compréhension un peu vicieuse ....

 

(à suivre)

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