Histoires diplomatiques, essai de Gérard Araud
C’est un livre bref mais dense, essentiel pour ceux qui veulent, comme moi, tenter de comprendre la marche du monde.
Le retour d’expérience d’un de nos diplomates les plus éminents (Polytechnique, Sciences po et ENA), aujourd’hui en retraite et qui n’a pas peur de dire ce qu’il pense du monde et plus spécialement de la politique étrangère de la France.
Il ne s’agit pas d’une histoire de la diplomatie, mais de l’explication très claire de quelques moments cruciaux de la politique internationale depuis la fin de la guerre de succession d’Espagne en 1700 jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022.
Une constante : la rivalité séculaire franco-britannique, jusqu'à la fin de l'Entente cordiale après le brexit.
Pour les Anglais, le pire cauchemar est l’apparition d’une puissance hégémonique sur le continent. Napoléon, lui, ne rêve que d’une Europe subordonnée à la France et non à l’équilibre des forces. La paix d’Amiens de 1802 n’est en fait qu’une trêve. Le prétexte de la rupture sera Malte en 1803, qui inaugure 12 années de guerres que Napoléon perdra définitivement. Car c’est un mauvais négociateur qui n’a pas le sens des limites, alors que la diplomatie n’est que la recherche d’un compromis.
Après le congrès de Vienne, la France cependant n’est pas maltraitée : pas d’indemnité ni amputation de son territoire d’origine. Elle reste forte car elle fait contrepoids à la Russie qui ne cesse d’avancer vers l’ouest au point de menacer l’équilibre européen (déjà !).
La diplomatie est l’instrument de la paix, de sa recherche et de son élaboration, mais souvent les dirigeants ont la fâcheuse tendance à vouloir négocier eux-mêmes … Autre erreur funeste : se laisser entraîner dans une alliance, qui est un moyen mais ne doit pas être une contrainte, sauf en cas d’agression.
Une partie intéressante de ce livre, rarement évoquée, est la défense des clauses des traités de Versailles, « cette paix carthaginoise qui aurait nourri le ressentiment du peuple allemand. » En réalité, c’est l’apparence d’une victoire et la négation d’une défaite. Car ce ne sont pas les indemnités de guerre qui ont causé l’accession au pouvoir des nazis : en 1925, l’Allemagne a retrouvé son PIB de 1914 et au total, elle n’aura réglé que 3% de sa richesse (en comparaison, la France a réglé une indemnité représentant 30% de son PIB en 1872.)
Retour aussi sur Munich, l’asservissement de la politique étrangère de la France à celle de la Grande Bretagne, dans cette politique d’appeasement qui suscite dans les deux opinions publiques une adhésion massive, par anticommunisme essentiellement.
On termine en apothéose avec le fiasco de l’affaire de Suez en 1956, et les échecs successifs des Etats-Unis en Irak – malgré le refus de la France - en Afghanistan, la présence trop longue de notre pays au Mali.
Conclusion : le recours à la force est un instrument primitif qui permet rarement d’atteindre des objectifs politiques complexes. Imposer des valeurs à des pays qui n’en veulent pas est, la plupart du temps, impossible parce que l’histoire, la géographie et la culture définissent les limites étroites à ce qu’une société peut admettre.
Une magistrale leçon de diplomatie qui éclaire bien des zones d’ombre de l’histoire des relations internationales.
Histoires diplomatiques, Leçons d’hier pour le monde d’aujourd’hui, par Gérard Araud, Ambassadeur de France, édité chez Grasset en Livre de Poche, 308 p., 8,70€