Voter ou s'abstenir, telle est la question
Devant l’inanité des propositions articulées par certains des candidats qui briguent la fonction présidentielle lors de ce premier tour – sans se rendre précisément compte de ce que cette fonction requiert de compétences et de vision de l’avenir - je comprends que de plus en plus de citoyens se demandent s’ils vont se déplacer ou se dérober à ce geste qui représente pour moi un devoir.
Je sais. Je ne suis qu’une vieille ratiocineuse. Pour moi, voter est un acte quasiment sacré. Je ne pratique plus aucune religion mais j’ai encore la foi en la démocratie, malgré ses errements et ses excès parfois, son expression lamentable souvent.
Voter pour qui on veut, on contre qui on ne veut surtout pas, ou même pour personne (vote blanc) est un acte responsable, qui ouvre droit à la manifestation de l’adhésion, de l’espoir ou du mécontentement absolu à une forme de gouvernance, à la plus radicale opposition.
Toute opinion exprimée sans violence est respectable. L’alternance n’est pas faite pour les chiens. Les citoyens peuvent renverser le pouvoir, s’ils sont majoritaires à seulement une voix près.
C’est pourquoi il est capital de voter, c’est-à-dire prendre le temps de vérifier si on est bien inscrit sur les listes électorales, faire la queue – ou pas – dans une école ou un gymnase transformé en bureau de vote (en avril, la pandémie aura cessé), montrer sa carte d’identité (mon papa se montrait volontaire pour être assesseur et vérifiait les dates de naissance des dames du quartier …), prendre tous les bulletins disponibles même les plus invraisemblables car le vote est secret, glisser le bulletin dans l’enveloppe lorsqu’on est dans l’isoloir – ce qui permet aussi d’y mettre un bulletin blanc préparé à la maison – autant d’opérations rituelles qui garantissent la sincérité du scrutin.
Tant de gens dans le monde ont combattu et souffert pour obtenir ce droit. Les femmes, par exemple. Le début d’un processus d’émancipation qui s’accélère aujourd’hui.
Redécouvrant l’histoire romaine voici quelques jours, j’y ai découvert que la République, modèle de la démocratie ressucitée au temps des Lumières, fonctionnait uniquement pour les gens riches. Et, de la Révolution de 1789 à la Deuxième république (1848), notre régime électoral était celui du suffrage censitaire. Un système où seuls les citoyens dont le total des impôts directs dépassait un certain seuil – le cens – étaient autorisés à voter.
Un droit de vote exclusivement et naturellement réservé aux hommes … Pour les élections au Tiers Etat de 1789, seuls votaient les chefs de foyers âgés de plus de 25 ans et payant l’impôt. Le cens est supprimé par la Constitution de l’an 1 – qui n’a jamais été appliquée. En 1831, le cens est fixé à 200 Francs, on compte 246000 électeurs en 1847. Mais en 1848, c’est enfin le suffrage universel, toutefois en 1850, on exige un minimum de résidence dans la commune de trois ans, ce qui exclut de fait les plus pauvres …
Tous les instituts de sondage prévoient aujourd’hui, pour le premier tour de la présidentielle, un taux record d’abstentions, soit au moins 30%. Surtout chez les jeunes « de toutes façons, rien ne changera pour moi, ce sont tous des incapables », les catégories populaires et les habitants des petites villes. L’abstention est corrélée aussi avec la sensibilité politique : on la prévoit autour de 33% chez les électeurs de gauche, mais à 15% chez ceux de droite, 8% chez les macronistes, 44% chez ceux qui ne s’intéressent pas à la politique … mais sont-ils si nombreux en France ? J’en doute.
Certains pensent que tout est plié d’avance. Avec un taux d’abstention potentielle aussi élevé cependant, rien n’est écrit. La politique est une noble fonction, la démocratie une conquête remise en cause perpétuellement. Car la seule alternative à la démocratie est la dictature. Bien des citoyens en meurent chaque jour à quelques centaines de kilomètres à l’est de chez nous pour conserver leur démocratie obtenue en 2014.
Je militerai toute mon existence pour que ce droit s’exerce sans aucune contrainte et que son résultat – même s’il porte sur une population de citoyens peu nombreux, et même s'il ne correspond pas à mes attentes, ne soit pas contesté.