L'enragé, roman de Sorj Chalandon
Il y avait très longtemps que je n’avais pas été aussi émue par un roman … et en être comme imprégnée longtemps après en avoir tourné la dernière page.
C’est le premier ouvrage de Sorj Chalandon (né en 1952) que je lis, et cependant je sais qu’il dispose d’un palmarès particulièrement étoffé dans le monde du journalisme : prix Albert Londres en 1988, prix Joseph Kessel en 2008, et de la littérature : Grand prix du roman de l’Académie française en 2011, entre autres …
Ce roman tient à la fois de l’autobiographie, de la recherche historique sur un fait divers, de l’étude politique, de l’analyse des effets post traumatiques de la maltraitance. Il reste donc hélas d’une terrible actualité lorsqu’on nous parle d'adolescents qui se donnent la mort après avoir été harcelés par leurs camarades.
Ici, le héros a, dès sa toute petite enfance, subi toutes les brimades les plus atroces, psychologiques – l’abandon, l’humiliation, l’esclavage – et physiques : les coups, l’enfermement, la privation de nourriture …
Pas plus qu’aujourd’hui, les autorités n’avaient jadis résolu la question de la délinquance juvénile. L’enfermement des fortes têtes jusqu’à leur majorité semblait la seule solution pour réprimer ces « graines de bandits ».
A Belle-Île, on avait construit en 1848 une prison pour les insurgés pris sur les barricades, plus tard, on leur avait substitué ceux de la Commune, puis on y a enfermé des enfants. La maison de correction n’a fermé qu’en 1977 !
Sorj Chalandon se glisse dans la peau d’un des leurs, en cette année 1934 qui voit en France les émeutes entre ultra droite et ultra gauche. La colère et la rage de Julien Bonneau, c’est de l’amour dit l’auteur. Il raconte les brimades, les crimes, la résilience, la bonté aussi de gens simples prêts à tendre la main à ces jeunes révoltés, face à ceux qui pourchassent les fugitifs pour toucher la prime de 20 francs allouée à chaque enfant capturé.
En 1934, le héros a 20 ans, exactement comme jadis ma maman … L’auteur a mis beaucoup de lui-même dans ce récit riche en rebondissements, en personnages brossés à larges et rudes traits comme peints au couteau, ceux les salauds absolus comme les généreux, hommes au grand cœur et femmes courageuses.
Le style est rapide, les phrases ciselées au scalpel, les scènes de combats particulièrement visuelles, le scénario de l’aventure très habilement construit. Bref, j’ai adoré …
Marcel Carné avait commencé à tourner un film sur cette histoire, « La fleur de l’âge », mais la censure a eu raison de son projet. Un producteur intrépide s’emparera-t-il de ce drame si bien décrit par Sorj Chalandon ?
L’enragé, roman de Sorj Chalandon, publié chez Grasset, 406 p., 22,50€