La Horde, comment les Mongols ont changé le monde par Marie Favreau
J’emprunte quelques réflexions à la conclusion de ce livre écrit par une jeune historienne et d'abord publié en anglais, qui vient de bouleverser ma vision de l’espace euro-asiatique, actuellement si préoccupant …
Les empires modernes ont toujours considéré l’agriculture et l’industrie comme supérieures au nomadisme, économiquement et moralement. Dans l’imaginaire humaniste, le nationalisme et le libéralisme, la recherche du consensus et la tolérance relèvent exclusivement du monde civilisé et moderne, reléguant les Mongols au rang de barbares.
« Comment les Mongols ont changé le monde » nous livre une brillante démonstration de cette grossière erreur.
Ce livre retrace les siècles de domination de Gengis Khan (1155 ou 1162 – 1227) puis de ses successeurs Jochi (1182 – 1227), Chagatay, Ogödei et Tolui.
Plus spécialement des Jochides qui gouvernèrent la Horde d'Or tout au long des 13ème et 14ème siècles, mis en lumière selon un prisme totalement différent de l’image que nous avons ancrée dans notre culture occidentale.
Quelques exemples :
Les conquêtes mongoles n’impliquent pas colonisation. Les Mongols incitent les peuples soumis à produire de la richesse en leur donnant les moyens de le faire et de commercer d’un bout à l’autre de l’Empire. On est loin du stéréotype d’un empire de prédation, et de l’image du Mongol maraudeur, pillard et brutal.
Les Mongols pratiquent une totale tolérance religieuse qui constitue un outil au service du pouvoir. La conversion à l’Islam, pour des motifs en partie commerciaux, leur confère une légitimité efficace, source d’identité collective qui s’épanouit au-delà des frontières, des lois et de la culture mongoles.
Nomade n’exclut pas la construction de monuments pérennes ni culture essentiellement orale. Les sources écrites sont nombreuses : diplômes et ordres impériaux, correspondances diplomatiques, lettres commerciales. On a la trace des alliances de la Horde avec les Mamelouks d’Egypte, les Génois, Venise, Rome, Vienne, Simferopol, Varsovie, Istamboul.
Le gouvernement mongol est fondé sur deux principes : une puissante intégration et le contrôle strict des lignages empêchant les étrangers d’accéder à la seule lignée d’Or permettant d’accéder au trône, selon une rituel de désignation du grand Khan incroyablement sophistiqué impliquant l’acceptation des autres prétendants et leur retrait public, mais aussi à l’attribution aux « recalés » de territoires distincts … et si possible éloignés mais susceptibles d’extension. Chaque fils de Gengis Khan conduit sa propre horde.
Une des caractéristiques de leur stratégie de conquête : les Mongols n'attaquent jamais les premiers mais poussent leurs adversaire à la faute, ou pratiquent une provocation avant de lancer l'offensive avec leurs puissants guerriers. Une méthode qui perdure de nos jours ...
L’une des clés de l’empire est sa capacité de communication grâce au réseau du yam, poste officielle sous contrôle de l’armée, qui offre de nombreux avantages : espionnage en territoire ennemi, transport de marchandises, courrier de longue distance, approvisionnement de camps militaires. Les stations sont distantes d’une demi-journée.
Le pilier du système est le commerce, donc la fiscalité (légère, mais en cascades) qui permet la redistribution des richesses à répartir. Les principaux produits de la traite sont le sel, les fourrures, les soieries, les esclaves, les faucons, les céréales.
Sous domination mongole, le clergé bénéficie d’un statut très avantageux : exonération fiscale et de la conscription, ce qui ne manquera pas d’attirer vers le clergé orthodoxe une foule de candidats et la constitution à partir du 13ème siècle de très importants monastères. Contrairement à l’historiographie classique et nationaliste russe, la Horde a en effet largement contribué au développement de la Russie. Les boyards continuaient à administrer leurs terres mais devaient récolter l’impôt à verser aux Mongols. Les Russes bénéficiaient de leur appui militaire contre la poussée des Suédois et des Teutoniques.
Dans la seconde partie du 14ème siècle toutefois, les conflits de succession, les particularismes provinciaux, et surtout la grande peste eurent raison de l’empire de Gengis Khan. La pandémie, portée par les rongeurs de la steppe eurasienne, désorganise la circulation des hommes et des biens. A leur insu, les Mongols ont contribué à la propagation du mal grâce à la vigueur de leurs relations commerciales - jusqu'en Europe occidentale - et aux changements environnementaux dus au développement de l’élevage, à l’intensification de la chasse, au déploiement du marché des fourrures (en particulier les marmottes qui font l'objet d'une chasse systématique).
A partir de 1368, les Yuans, descendants de Kubilaï, doivent se retirer de la Chine, remplacés par les Ming. De la Hongrie à la Corée, une constellation de nouveaux pouvoirs se dessine, l’empire éclate et c’est l’anarchie.
Toqtamisch réunit la Horde au bout de 20 ans, entreprend une longue guerre contre Tamerlan puis s’allie avec lui. La Horde est alors éclatée entre plusieurs khanats : Ouzbecks, Qazaks, Manguit-Nogaï …
Mais la tradition des steppes survit aux conquérants qui l’avaient fondée.
Un récit passionnant, parfois complexe dans la succession des luttes de pouvoirs (le consensus traditionnel de nominations se mue en purges sanglantes), mais qui offre l’avantage de considérer cette partie immense de notre monde si mal connue d’une autre manière et permet d’appréhender l’actualité – comme ce qui se joue actuellement de Crimée – d’un tout autre regard.
La Horde, comment les Mongols ont changé le monde, monographie de Marie Favreau édité chez Perrin, 428 p., 25€