Le roman oublié, polar de Jean-Michel Lecocq
Avec ce polar – et, comme l’annonce la couverture « mais pas que … » - je pénètre dans l’univers d’un nouveau policier hyper malin et de ses acolytes, dont ce livre est apparemment le cinquième épisode. C’est la référence explicite à l’œuvre fondatrice du roman policier – à l’époque, on disait « judiciaire » - Emile Gaboriau, qui m’a tentée …
Effectivement, dès la première page, l’auteur rend hommage à cet écrivain dont s’inspirèrent Conan Doyle, Agatha Christie et Georges Simenon, et dont j’ai lu avec grand intérêt les principaux ouvrages, qu’il cite à plusieurs reprises : L’Affaire Lerouge et Le crime d’Orcival.
Comme dans le scenario d’une série policière américaine, deux intrigues se mêlent à un siècle et demi de distance : à l'été 1866, le décès suspect d'une servante dans un château où séjourne le feuilletoniste et à l’été 2019, lorsqu'un journaliste d’investigation et un antiquaire aixois sont sauvagement assassinés à leur domicile, l’un à La Garde Freinet, l’autre à Aix en Provence. Justement là où le commissaire Payardelle se remet d’une blessure en compagnie de sa nouvelle maîtresse, une proche amie de la seconde victime.
Au cours d’un dîner chez ce riche collectionneur, ce dernier avait fait part au commissaire de sa passion pour l’œuvre trop mal connue d’Emile Gaboriau et l’avait mis au défi de retrouver le manuscrit d’un roman jamais publié, écrit lors d’un séjour de l’écrivain en 1866 chez le comte de Maisonneuve. L’affaire se corse lorsque l’on apprend que l’Elysée envisage de nommer Premier ministre le descendant direct du comte, aujourd’hui sénateur classé à droite, alors qu’une campagne de presse commence à sourdre pour salir l’honneur de cette famille prestigieuse … Les deux crimes seraient donc liés et pourraient aboutir à un scandale d’Etat.
Une construction « en sandwich » des chapitres alternant entre l’ancien crime et les nouveaux, et toujours le problème récurrent des auteurs de polars : comment trouver le moyen de faire sortir le limier de son aire de juridiction. Est-il en vacances, en convalescence, en mission à l’étranger … Une autre dérive des auteurs, hélas trop fréquente : l’influence supposée des plus hautes autorités de l’Etat sur le cours d’une enquête judiciaire. On peut le comprendre dans la France de Napoléon III, mais elle est incongrue de nos jours.
Dernière remarque : j’ai peu apprécié l’abus de références littéraires comme l’utilisation de patronymes célèbres en leur temps : un jeune conseiller du Président se nomme de Villefort (Dumas), le directeur de la PJ Jouve (Zola), Victor Cousin (comme le philosophe). Mais le pseudonyme de l’auteur n’est-il pas justement un manifeste ?
L’intérêt majeur de ce livre est donc de remettre en lumière la fulgurante carrière d’Emile Gaboriau (1832 – 1873), le créateur français du roman policier, ami de Paul Féval, Ponson du Terrail, George Sand, Gustave Flaubert, Gustave Courbet, Jules François Félix Husson écrivant sous le nom de plume de Champfleury … dont on retrouve un descendant dans la double énigme contemporaine.
En conclusion, ce polar m'est apparu comme un exercice de style, parfois laborieux et, contrairement à mes habitudes, je ne pense pas remonter à l'origine de la série des enquêtes du commissaire Payardelle cette fois !
Le roman oublié, polar « mais pas que » de Jean-Michel Lecocq, aux éditions Lajouanie, 383 p., 19€