Le mage du Kremlin, roman de Giuliano da Empoli
Giuliano da Empoli (né en 1973) est un essayiste et conseiller politique, diplômé de la Sapienza de Rome et professeur à Sciences Po. Cet ouvrage est son premier roman. Terrifiant …
La longue confession d’un amoureux des livres : Vadim Baranov, ancien conseiller très proche de Vladimir Poutine, oligarque et metteur en scène de téléréalité. Le narrateur qui recueille son histoire est, comme lui, admirateur de l’écrivain Evgueni Zamiatine (1884 – 1937), celui qui a très directement influencé Aldous Huxley (Le meilleur des mondes) et George Orwell (1984).
Dans la vraie vie, c’est le parcours romancé de Vladislav Sourkov (né en 1964), coordinateur du parti « Russie unie » et principal idéologue du Kremlin dans les années 2000, qui a participé directement à la prise de pouvoir de Vladimir Poutine.
Le loup solitaire s’est retiré à temps et il parle. En nous faisant entrer dans le plus secret du bureau du Tsar, il nous fait comprendre ce qui se joue aujourd’hui – même si ce roman a été terminé depuis plus d’un an, donc avant l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe.
Le pouvoir est comme le soleil et la mort, il ne peut se regarder en face. Surtout en Russie. Le système russe est fondé sur le statut et non sur l’argent. Seul le privilège compte en Russie, et la proximité du pouvoir, comme au temps des tsars ou de Staline.
Après la chute du Mur au début des années 90, Moscou devient une bulle radioactive : trafics, fortunes fulgurantes, belles filles et rafales de kalachnikovs. Au cœur du système : la télévision car toutes les autres institutions se sont écroulées.
Le propriétaire de la principale chaîne est alors Boris Berezovski qui devient le vrai patron du pays en manipulant le déclinant Boris Eltsine. C’est lui qui présente Baranov à Poutine, celui qu’il a choisi pour reprendre la main, rétablir la verticalité du pouvoir, et qu’il espère manipuler … Quelle illusion !
Les obsessions de Poutine, depuis la révolte de Tchétchénie qu'il a vécue comme une humiliation et a écrasée dans le sang, sont de défendre l’honneur et la dignité de la Russie et de mettre un terme à sa désagrégation.
Selon lui, ce ne sont pas l’OTAN et les Américains qui ont gagné la Guerre froide, alors que l’Union soviétique ne l’a pas perdue : la guerre froide a cessé parce que le peuple russe a mis fin à un régime qui l’opprimait.
Selon lui encore, la seule explication à l’incurie et au chaos est le sabotage, bien entendu avoué par des responsables aussitôt exécutés : cela provoque dans le peuple gavé de propagande une onde d’indignation mêlée à un certain soulagement. Tout s’explique.
Ainsi en fut de Mikhaïl Khodokorsky, l’icône du nouveau capitalisme russe, retrouvé « pendu » à Londres … Comme d'autres, ces derniers jours.
Défendre l’indépendance de la Russie quoi qu’il en coûte, c’est récupérer l’Ukraine dont la révolte est financée par l’Occident, les Américains, la CIA, et Khodokorsky. La Russie ne peut tolérer ce démembrement de sa Rus’ d’origine.
Voilà de la matière sérieusement documentée, même si la situation est racontée sous forme d’un dialogue inventé. Des éléments qui permettent de comprendre que Vladimir Poutine ne s’arrêtera jamais. Les gens comme lui ne peuvent pas. Ceux dont la première règle est de persévérer et ne jamais admettre les erreurs …
Je le disais : c’est terrifiant.
Le mage du Kremlin, roman de Giuliano da Empoli, édité chez Gallimard, 280 p., 20€