Le Grand Monde, roman de Pierre Lemaitre

Je sais, c’est trop facile, mais je ne résiste pas au jeu de mots : l’auteur est vraiment un Maître.

Des décors poisseux sous des pluies tropicales, une guerrilla sans merci, de la critique sociale sans filtre, des retournements inouïs. Un récit peut-être encore meilleur que le premier opus de l’auteur couronné du prix Goncourt en 2013 ….

Mars 1948, cet épisode commence une nouvelle trilogie … Il paraît que cette fresque comportera au total 10 romans, que l'on peut lire individuellement, mais encore mieux en les reliant les uns aux autres.

Pierre Lemaitre se livre à un jeu de massacre : secrets de famille – particulièrement sévères dans cette bourgeoisie industrieuse et bien pensante – les dérives de la colonisation, la corruption et les montages financiers fumeux, la police et la justice, l’armée, l’administration, sans oublier la Presse du soir.Tout le monde en prend pour son grade.

Un tableau de cette France des lendemains d’une guerre où elle fut humiliée, où l'on s’est battu en Syrie entre Français pour sauvegarder un empire en déliquescence, où on s’efforce de reconstruire malgré les grèves et alors que sévit encore le rationnement, la chasse aux anciens collabos, la crise du logement, le chômage.

Le thème central est encore une fois le mensonge, l'arnaque, l'escroquerie, déclinés à toutes les échelles ... du Levant au Pacifique, en passant par Paris, naturellement. La famille Pelletier a investi avec succès en 1920 à Beyrouth. Comment ? Avec quels fonds ? ... il faudra attendre d'attaquer le dernier cinquième de l'histoire pour le découvrir.

La savonnerie de Louis, le père, est prospère. Avec son épouse Angèle, ils ont eu quatre enfants qui, parvenus à l’âge adulte, vont les quitter : Jean l’aîné, dit Bouboule, est destiné à reprendre l’affaire familiale mais s’avère incompétent. Il a une façon toute particulière de ruminer ses échecs successifs.

François, élève brillant, rêve de partir à Paris même au prix d’un gros mensonge.

Etienne est totalement amoureux de son ami Raymond, engagé dans la Légion en Indochine, et la petite dernière, la ravissante Hélène, vient de passer son bac et couche avec son professeur de mathématiques, photographe compulsif et violent.

On se laisse immédiatement emporter dans le tourbillon foisonnant de ces destins entremêlés. Dans « Au revoir là-haut », un militaire incarnait le mal absolu. Ici, Geneviève, l’épouse de Jean, est la salope de service : retorse, manipulatrice, dépourvue de toute aménité, fainéante d'une mauvaise foi absolue, âpre au gain et frigide … violente à l’occasion.

Le mal s’insinue au cœur de cette société ébranlée par une nouvelle guerre coloniale en Extrême-Orient, sans issue sauf le renoncement. Des portraits acérés, des personnages à clés, un grand roman populaire, réaliste, historique, cruel avec humour, construit au millimètre, dont l'intrigue ne se relâche pas.

Du très grand Lemaitre.

Le Grand Monde, roman de Pierre Lemaitre, édité chez Calmann-Lévy, 587 p., 22,90€

Comments

[OLGA]

Bonjour

J'ai lu la trilogie en italien je concorde: exellentJ'attend la traduction de " Le grand monde". Merci !!!

[Binchy]

Un excellent roman Marie-Pierre ! Je confirme et ta chronique est formidable ! C'est tout-à-fait cela !

Je partage sur Facebook et j'indiquerai le lien de ton blog quand je dirai à mon tour mon ressenti.

Belle journée à vous deux. En Rhône-Alpes, nous avons du soleil.

Amitiés.

Bernadette.