Confessions gastronomiques, par Alain Bauer et 59 chefs, cuisiniers et restaurateurs
Cet ouvrage m'a été offert à Noël par ma fille aînée, sur ma suggestion non déguisée. Mais j’ai mis du temps à le digérer … 850 pages, 69 témoignages recueillis par un expert en criminologie, c’est du lourd !
J’ignorais totalement qu’Alain Bauer, professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers et aux universités de Shanghaï et NewYork, ancien Grand Maître d’une des deux grandes obédiences maçonniques françaises et expert es phénomènes de violence sollicité par toutes les chaînes de télévision, fut aussi directeur d’un guide gastronomique aujourd’hui disparu.
Selon un canevas bien tracé, il a recueilli les témoignages de 59 cuisiniers et restaurateurs, tous reconnus par leurs pairs et distingués par la renommée et les macarons au Guide Rouge, toujours très présent, lui.
Disons que dans cette brochette de chefs, présentés par ordre alphabétique, figurent des noms qui me « parlent », ceux de ma génération, qui ont révolutionné la manière de cuisiner pour en faire un must de l’art de vivre (j’ai acheté en 1976 « La cuisine minceur » de Michel Guérard) à la française, et d’autres actuellement en vogue et qui poursuivent cette évolution délicieuse vers des sommets dont le commun des mortels n’a qu’une vague idée.
Chaque récit se présente en quatre volets : une courte biographie, insistant sur les origines familiales et les motifs du choix professionnel, le « parcours ». Ensuite, on parle de « substance », ou comment un jeune chef définit ce que sera son individualité, comment il s’affranchit de ce qu’il a appris et fidèlement reproduit pour accéder à son style, sa signature. Un volet « ambiance » ou comment se crée l’environnement du repas, sa mise en scène, enfin, un regard sur les répercussions probables de la crise sanitaire sur la perception du métier par ces professionnels et l’évolution – ou pas – des aspirations de la clientèle. Il y a aussi quelques recettes, mais ce n'est pas l'essentiel.
Je ne cache pas que l’accumulation de ces témoignages présente un caractère répétitif. Qui a procédé à la sélection des chefs et cheffes ? Certains, sollicités, ont-ils préféré s’abstenir, pourquoi certains n’y figurent-ils pas (Comme Jean Imbert, par exemple ?)
Ce qui frappe, ce sont les similitudes de certains parcours : la plupart sont nés dans une famille travaillant près de la nature, agriculteurs ou métiers de bouche, la plupart évoquent leur apprentissage précoce auprès d’une mère ou une grand-mère, certains sont issus d’une dynastie de cuisiniers (Anne-Sophie Pic ou Hélène Darroze, même si elles sont toutes deux passées par des études supérieures de commerce).
Ils sont nombreux à avoir entretenu des rapports intermittents avec l’école, voire à dériver dangereusement jusqu’à une rencontre décisive avec une civilisation (le Japon pour Thierry Marx) ou un grand ancien. Tous sont des instinctifs, des acharnés de travail et d’inventivité.
Aujourd’hui, tous sont convaincus de la pertinence de certaines tendances : il faut repenser la façon de manger en réduisant les protéines, mettre en valeur les légumes, privilégier le local, inventer d’autres formule de contact en rapport avec les nouveaux modes de vie. Il faudra aussi revoir l’organisation des brigades : les jeunes se détournent d’un métier qui gomme toute vie personnelle : ils travaillent quand les autres se reposent, il y a une autre vie en dehors de la cuisine. Sinon, la crise des vocations s’amplifiera.
A l’avenir, les clients seront de plus en plus exigeants. Mais il faut aussi penser au décor : le repas gastronomique est une représentation de théâtre total. Le restaurant fait partie intégrante du patrimoine culturel de notre pays. C’est un métier dur, parfois très dur, mais c’est la recherche de l’excellence qui en fait la valeur, qui crée le lien social bien plus important que le simple fait de se nourrir.
Un gros pavé, donc, à déguster à petites goulées, avec des découvertes sur les biographies de chefs triplement étoilés au parcours parfois chaotique ou atypique, des noms moins connus que d’autres, et partout, une même soif de perfection, une virée dans des établissements prestigieux où seuls les hyperprivilégiés peuvent s’attabler.
Pour ma part, même si j’ai des souvenirs émus de certains restaurants cités comme formant des étapes dans la formation de cette élite de la gastronomie, aujourd’hui même pas en rêve …
Confessions gastronomiques, recueil de 59 témoignages de chefs, cuisiniers et restaurateurs, par Alain Bauer, édité chez Fayard, 850 p., 26€