Qu'à jamais j'oublie, roman de Valentin Musso
L’enfance maltraitée, l’adolescence bafouée, les femmes violées tiennent une place cruciale dans l’œuvre de Valentin Musso. C’est le thème du neuvième roman de cet auteur déjà chevronné âgé de 43 ans, professeur de lettres à Nice et frère de Guillaume, l'autre écrivain de la famille.
Souvenirs inavouables, accouchements clandestins, origines tues, mensonges de famille … Est-ce la vérité ou le mensonge qui tue ?
Théo, le narrateur, est un jeune quadragénaire. Il a perdu son père – photographe de renommée mondiale - quand il avait 5 ans ; Nina, sa mère, lui a toujours semblé lointaine … Veuve à 24 ans, très belle, elle ne s’est pourtant jamais remariée. Il a aussi un demi-frère, de trois ans son aîné. Peintre et alcoolique, mais qui se nomme Camille, pas Vincent.
Sans raison apparente, Nina se rue un jour sur un inconnu et le tue à coup de couteau. Immédiatement appréhendée, elle reste totalement mutique. Théo va devoir remonter le fil de la vie de cette femme dont, finalement, il ne sait absolument rien.
Un indice ténu mène Théo en Suisse, dans un monde longtemps tabou : celui des internements administratifs de jeunes considérés comme déviants, issus de famille dysfonctionnelles ou trop pauvres, ou pour adolescentes fugueuses, qu’il faut impérativement remettre dans ce que la société considère comme le « droit chemin ». Ces maisons de redressement – qui ont aussi existé en France entre 1870 et 1950 – furent fermées seulement en 1981 en Suisse, et ont été mises en cause très violemment par la Presse. On estime à 100000 les enfants placés dans des familles paysannes où ils servaient de main d’œuvre bon marché, ou enfermés dans des institutions religieuses où ils subissaient toutes sortes de sévices, y compris sexuels.
On connaissait les scandales des bébés irlandais, les enfants déplacés de La Réunion, voici les jeunes filles « dépravées » de la Confédération helvétique, enfermées dans ces sortes de prisons chrétiennes, parfois pour y mettre au monde des enfants issus de viols, qui leur étaient immédiatement arrachés. Un « variant » des pratiques nazies des Lebensborn évoqués dans cet autre roman du même auteur : Les cendres froides.
La révélation des origines est à la fois nécessaire et destructrice : Théo retrouvera sa mère, saura la consoler, l’aidera grâce à un avocat particulièrement médiatique – je ne nomme personne, suivez mon regard – à se faire reconnaître comme victime, se réconciliera avec son frère .... Mais pour lui, la souffrance demeure. Il n’est pas évident qu’il en sorte indemne, même avec le temps.
Qu’à jamais j’oublie, roman de Valentin Musso, au Seuil, 315 p., 19€