Nous, avocats des oubliés, récit de Corinne Herrmann et Didier Seban
C’est le récit « coup de poing » ramassé et émouvant d’une équipe parfaitement complémentaire, un duo de choc que nous voyons à la télévision lorsque les crimes les plus odieux défraient la chronique : enlèvements d’enfants, viols, tortures, assassinats, couples criminels et tueurs en série.
Corinne Herrmann connaît les dossiers par cœur, sait lire au plus profond des âmes, décrypte les postures. Didier Seban pose les questions qui déstabilisent jusqu’à employer les termes les plus crus que les jurés doivent entendre.
Ils défendent les parties civiles, ces familles souvent pauvres, dispersées, écrasées de mépris, mais qui ne renoncent jamais, des dizaines d’années après la disparition de leurs enfants.
C’est un témoignage en forme de réquisitoire, une catharsis, un inventaire de tout ce que l’institution judiciaire peut produire de pire, mais aussi de meilleur. Et ce n’est pas seulement une question de moyens.
Il y a les méthodes, archaïques malgré les progrès de la police scientifique, et surtout les comportements, les habitudes, les routines : individualisme, refus de communiquer les dossiers d’une région à l’autre en présence de « routiers » du crime, amateurisme de certains experts, certitudes butées de policiers, querelles de services.
Les auteurs n’ont pas froid aux yeux : ils « balancent » les magistrats indifférents à la douleur des familles, les présidents d’Assises qui n’ont pour objectif que de tenir le calendrier, les légistes qui s'opposent de façon systématique, les policiers qui s’abstiennent d’entendre des témoins capitaux. Ils citent aussi les juges opiniâtres, attentifs, compétents, les outils de recoupement ultra performants de la Gendarmerie …
Nul ne sait combien d’enfants disparaissent en France chaque année, il n’existe aucun répertoire des ossements enterrés sous X aux fins d’analyse pour identification, la gestion et surtout la conservation des scellés est catastrophique. Comment rouvrir les « cold cases », surtout lorsqu’on oppose aux avocats le principe de la prescription, reportée par une loi récente de 10 à 20 ans en cas d’homicide ?
Corinne Herrmann et Didier Seban ne se contentent pas de jeter un pavé dans la mare. Ils nous rappellent que nombre de dossiers non élucidés pourraient peut-être avancer avec plus de méthode et pas forcément des moyens financiers accrus. Ils font des propositions d’amélioration, pour que la vérité soit plus rapidement révélée, la justice rendue aux victimes. On « hallucine » à lire la durée des procédures, le parcours judiciaire de certains grands criminels.
Ces préconisations seront-elles suivies d’effet ? Les magistrats sont indépendants …Vont-ils déroger à leurs habitudes ? J’en doute !
Nous, avocats des oubliés, témoignage de Corinne Herrmann et Didier Seban, avec Elisabeth Fleury, publié chez JC Lattès, 268 p., 19€