Pot-bouille, roman d'Emile Zola (1882)
Le personnage central de ce dixième épisode de la série des Rougon-Macquart, c’est un immeuble. Situé rue de Choiseul dans le centre de Paris, à quelques encablures de la place Gaillon et de l’église Saint Roch, au cœur du quartier commerçant et des boutiques de frivolités.
Car en période de triomphe du Second Empire, autour de 1865, il faut imaginer les métrages de soieries et de dentelles nécessaires à la confection des crinolines de ces dames … et le soin apporté à « paraître » dans les salons, les « jours » de ces dames où il faut tenir son rang, quitte à manger des pommes de terre le reste de la semaine. C’est l’explosion de la révolution industrielle, des grands investissements, on parle des percées du baron Haussmann, et en particulier le prochain chantier de la rue du 10 décembre – qui deviendra la rue du 4 septembre après l’avènement de la Troisième République …
Cette maison de rapport où demeure le propriétaire et sa famille, héberge une population ultra bourgeoise, très "vertueuse" en surface, des "petits bourgeois".
L'immeuble comporte quatre étages et deux escaliers : l’escalier des maîtres avec deux appartements par étage, ses hautes portes d’acajou sombre, ses zincs dorés et ses faux marbres, les grilles qui soufflent l’air pulsé du chauffage, le tapis rouge tendu entre les tiges de cuivre … et puis au quatrième, le couloir des chambres de célibataires et les cellules des bonnes.
Car il y a aussi, naturellement, la population fort nombreuse des domestiques : majordomes, cuisinières, bonnes, chauffeurs et palefreniers … qui communiquent par une courette, pauvre trou d’air vicié par où s’exhale les rancœurs des uns et des autres. L’endroit où se concocte la tambouille des bourgeois et où l’on passe le temps à les épier, les singer, les voler …
Octave Mouret débarque de sa province natale et emménage dans l’un de ces petits logements où demeure déjà un de ses pays, architecte. C’est un « calicot », un vendeur d’étoffes, plein d’idées de révolution du commerce et décidé à conquérir Paris par les femmes. Il a 22 ans, des yeux de miel, une élégance soignée … Dans cet immeuble où l’on ne tolère pas qu’entrent des femmes, il va conquérir celles qui y sont déjà et causer bien des drames …
Zola nous décrit la vie dissolue de cette bourgeoisie tertiaire : employés de bureau, fonctionnaires, magistrats, commerçants. Les hommes ont des maîtresses attitrées, les femmes s’ennuient et se pâment … Au centre, une figure de mégère mal apprivoisée : Eléonore Josserand, mère de deux jeunes filles – Hortense et Berthe – qu’elle cherche à tout prix à caser mais dont la dot a été promise par son frère richissime mais radin au dernier degré. Il y a aussi deux fils : Léon, qui travaille chez un agent de change, et Saturnin, un jeune demeuré.
Octave Mouret va « faire son marché » auprès des dames désoeuvrées de cette maison pas si bourgeoise qu’elle en a l’air, et se heurter à certaines réticences, rencontrer la gent domestique avec ses terribles conditions de vie, le mépris réciproque d’une classe vis-à-vis de l’autre, la souffrance des femmes mariées contre leur gré, à la merci d’un mari absent, ailleurs, mauvais gestionnaire, coureur de dot …
C’est une peinture féroce, un huis clos plein de bruits et de fureur, sans aucune indulgence, brossé par un écrivain révolté par les moeurs de son temps … qui ne sont finalement pas si éloignées des différences de caste d’aujourd’hui.
A noter : sur le site de l’INA, une série TV de grande qualité, réalisée par Yves-André Hubert en 1972, particulièrement fidèle au texte de Zola, avec un casting remarquable : Danièle Ajoret, Michel Aumont, Jacques François, Marie-France Pisier, Françoise Seigner, Pierre Tornade, Roger Van Hool (Octave).
La suite, naturellement, c’est « Au bonheur des Dames » …