Indispensables routines
On pourrait croire que, étant retraités tous les deux, Claude et moi ne changeons pas grand-chose à notre vie en restant claquemurés dans notre appartement parisien. Eh bien non.
Nos habitudes ont changé et nous nous adaptons. Certes, nous sommes de multiprivilégiés : cinq pièces pour deux – il fut un temps où nous nous sentions à l’étroit avec nos trois filles – un seul étage à gravir même si d’aventure l’ascenseur tombe en panne – les meilleurs commerçants de bouche à notre disposition dans un rayon de moins d’un kilomètre (pour répondre à une éventuelle vérification de l’autorisation de sortie), des voisins très gentils, une gardienne attentionnée.
Mais ce qui pèse le plus est la privation de liberté. Il ne nous en reste plus tellement à mesure que l’âge avance et pourtant, c’est d’autant plus difficile à supporter. J’avais un patron, un aussi intelligent que bel homme et alors dans la fleur de l’âge, qui avait coutume de dire : « La vie est une suite de renoncements. »
Ce qui me manque le plus, ce sont toutes ces magnifiques expositions dont j’avais noté l’ouverture sur mon agenda : Cézanne au musée Marmottan-Monet, les curieuses sculptures de Léopold Chauveau à Orsay, Turner à Jacquemart-André, James Tissot à Orsay encore, Pompéï au Grand Palais … Heureusement, je vais en savoir plus de façon indirecte grâce à mes revues d’art préférées.
J’ai laissé tomber le tricot car je n’ai pas l’impression que mes ouvrages soient encore à la mode chez les jeunes ados que sont devenus mes petits-enfants.
Il me reste la lecture.
Pour faire durer le plaisir et ne pas dévorer en une journée un polar très attendu, j’alterne avec un ouvrage de philosophie de l’histoire … que je feuillette en me glissant dans les draps, espérant qu’il va me permettre de trouver plus vite le sommeil.
Nouvelles habitudes, nouveaux réflexes, il faut scander ces journées de routines nouvelles. Couper la télévision et arrêter les informations anxiogènes, s’habiller comme pour sortir, ne rien laisser traîner, planifier les courses pour au moins trois jours – moi qui ne décide que devant un étal de ce que je vais cuisiner, qui n’ai jamais de stocks … - vérifier les médicaments …
La seule interrogation est : aujourd’hui, je sais que nous n’avons pas le coronavirus. Chaque journée de confinement supplémentaire nous le confirme mais nous l’avons peut-être déjà en nous sans le savoir …et nous ne pouvons nous permettre de tomber malades, à cause de nos fragilités spécifiques. L’angoisse vient aussi de l’après-« guerre » : comment va-t-on surmonter cette crise économique mondiale ?
En réalité, je suis confiante : ne pas noircir le tableau, on va trouver ensemble le moyen de faire craquer nos certitudes - et traiter rapidement les personnes atteintes pour faire tomber plus vite leur charge virale et éviter les surinfections pulmonaires - et le carcan de normes qui enserre notre économie, et ce au niveau mondial. Volens, nolens, nous nous adapterons, rien ne sera plus comme avant, sans doute subirons-nous une baisse générale du niveau de consommation. Et au prix de changements de comportements individuels et collectifs : nos investissements seront réorientés, nos pratiques d’hygiène revisitées, nos solidarités renforcées.
Pas de panique, arrêtons de nous angoisser, faisons-nous confiance. Nous avons tellement d’atouts et la technologie est partout pour soulager nos misères. C’est tellement rigolo d’avoir un rendez-vous téléphonique simultané avec nos trois filles à l’heure du rituel de l’apéro chacun dans son canapé !
Je me demande comment, dans une vingtaine d'années, nos petit-enfants se souveindront de cette cohabitation forcée avec leurs parents ?