Amicie Lebaudy, pionnière du logement social à Paris
Dans la série des veuves bienfaitrices de l’humanité souffrante, je demande Madame Jules Lebaudy.
Amicie Pion, épouse Lebaudy (1847 – 1917) est issue d’une famille en vue. Son père est Président de la Cour d’Appel de Toulouse et sa mère vient d’une grande famille bretonne, les Le Dall de Keréon. Elle est mariée en 1865 à Eugène Lebaudy qui a vingt ans de plus qu’elle. Homme d’affaires, banquier et surtout sucrier, richissime investisseur dans l’immobilier.
En fait, son mari a beaucoup acheté d’immeubles parisiens après la défaite de 1870. Il est parmi ceux qui provoquent en 1882 la panique de la Banque de l’Union Générale, krach retentissant d’une banque catholique qui ruine des milliers de petits épargnants. A Paris, les commerçants, les employés, les concierges, les ouvriers sont les principales victimes de cet agiotage sans frein. Amicie considère cette action comme scélérate et se brouille avec lui. Il meurt en 1892 en lui laissant une fortune considérable.
Amicie, grande bourgeoise catholique, dreyfusarde et monarchiste va consacrer son héritage à des œuvres charitables – je crois voir son personnage dans le roman de Zola « L’argent ». Elle finance ses actions anonymement, son nom ne devant être révélé qu’à sa mort.
Son projet principal est de construire des logements modernes et salubres destinés aux ouvriers qui s’entassent dans des taudis. Le Groupe des Maisons Ouvrières est créé en 1899. Son crédo est de favoriser la sociabilité, l’éducation morale et civique, avec un suivi social des familles assuré par les gardiens.
Amicie écrit, s'informe, s'instruit : elle fait chaque année un voyage à l'étranger. Elle tirera de ces voyages d'agrément et d'étude, une bonne expérience des réalisations en matière de logement social et d'hygiène.
Les logements sont de petite taille (40 à 50m²), mais avec de grandes fenêtres, la cuisine équipée, des cours bien ventilées et des espaces communs (laveries, bains, crèches …) avec des commerces en pied d’immeubles.
« Mon intention, en construisant des habitations, n'a pas été seulement de procurer des logements hygiéniques aux travailleurs parisiens, mais de les habituer à l'ordre, à la propreté, à la discipline, au respect d'eux-mêmes, en un mot, de les moraliser : c'est là, par l'élimination des éléments mauvais, mon véritable but. » Amicie Lebaudy. Lettre du 11 octobre 1908.
On voit que les objectifs moraux voire moralisateurs forment l’essentiel de son propos. L’idée est non seulement d’éradiquer les maladies contagieuses comme la tuberculose mais d’éduquer les familles ouvrières, les former aux moeurs bourgeoises, acquérir les habitudes de propreté corporelle … Un mécénat clairement de droite … mais qui perdure aujourd’hui.
Entre 1900 et 1913, huit groupes d’immeubles sont construits dans Paris. La Fondation Madame Jules Lebaudy représente aujourd’hui 2400 logements, très bien entretenus, 86 ateliers, locaux commerciaux et professionnels, très bien conçus pour l’époque et décorés de jolies mosaïques et bas-reliefs. C’est la première initiative de construction de logements sociaux à taille humaine, bien avant l’effort de la Ville de Paris.
Pour ne pas être importunée par la Presse, elle vit avec frugalité sous son nom de jeune fille dans un petit appartement parisien, mais continue à professer des idées réactionnaires. Après sa mort, un médaillon de bronze est incrusté dans le mur de chacune de ses réalisations.