La Der des grèves ?
37ème jour de grève ? Qu’est-ce que ça change au juste ? Car il n'y aura bientôt plus de liquide (comme dans cette fontaine) dans les tuyaux. Pour notre génération qui a connu les mouvements sociaux précédents, et je pense en particulier aux grèves de 1968, 1986, 1995, bien des choses ont changé aujourd'hui.
D’abord, ces mouvements de protestation ne sont pas motivés uniquement par le refus d’un changement du système de retraite. Une faible proportion de ceux qui manifestent savent comment fonctionne le système actuel, en connaissent les carences, et ils sont encore moins nombreux à concevoir ce que changera le nouveau système en projet – il faut dire que la communication du Gouvernement n’a pas été des plus claires.
La protestation, elle est bien plus profonde - les historiens font parfois référence au mouvement des sans-culottes - et même si l’on donnait satisfaction aux revendications actuelles avec le retrait du projet, la colère du « peuple » ne cesserait pas pour autant : le mal est bien plus grâve, il a sa source dans plusieurs décennies de promesses électorales non tenues, de frustrations et de refus de la gouvernance à travers des représentants que chacun juge à la fois incompétents, corrompus, obtus, privilégiés, illégitimes …
C’est une crise de confiance qui ne secoue pas uniquement notre pays, bien cernée dans le livre de Jérôme Fourquet : « L’archipel français ». Plus personne ne fait confiance à personne. Et surtout pas aux gouvernants. Quels qu'ils soient.
Mais notre mode de vie aussi a changé : cette grève touche plus particulièrement l’Ile-de-France car le taux de grèvistes est très fort à la SNCF et à la RATP (tradition ouvrière et révolutionnaire historiquement très présente) – alors qu’au total, le taux de syndicalisation est inférieur à 10% dans l’ensemble des secteurs public et privé. Le secteur privé, lui, ne rejoint pas le mouvement - et la plupart de ssalariés sont informé de ce qu'est un système par points (les retraites complémentaires AGIRC-ARRCO). Les Franciliens sont épuisés mais blasés, résilients, ils se débrouillent : télétravail, trottinettes, scooters électriques, vélos, longues marches, embouteillages monstres, covoiturage, cars intercités, report de déplacements, contrats perdus, arrêts de maladie … En province, c’est notoirement différent.
En fait, il y a des différences évidentes par rapport à 1995 : le gouvernement ne peut pas céder à nouveau, justement parce qu’il a cédé en 95 et retardé l’échéance d’une réforme indispensable pour pérenniser le système par répartition, les services publics sont désormais ouverts à la concurrence, la télévision diffuse et la Poste (entre autres ...) fonctionne … Finalement, chacun prend son mal en patience. Et, le moment venu, les projets de privatisation du secteur public rencontreront de plus en plus de votes favorables.
Les réseaux sociaux, eux, fonctionnent en « tuyaux d’orgue » ou en « couloirs de nage » : ils attisent les sentiments les plus revendicatifs, d'un côté comme de l'autre, chacun n’entend que les messages qui l’intéressent, aucun débat n’a lieu, on préfère l'insulte à l'argumentation. Personne n’écoute l’autre, les intox polluent le réseau.
Ce qui va se passer ? Un essoufflement progressif de la mobilisation, l’enkystement des plus acharnés, quelques avancées sociales sur les critères de pénibilité que le Patronat sera bien contraint de prendre en compte, un tour de passe-passe sur le point dur de l’âge pivot … Et tous ces jours de travail perdus, des chiffres d’affaires évaporés, ces contrats de travail non conclus, une période de soldes bâclée … On parie ?
La France en a vu d’autres. Lisez le dernier livre de Pierre Lemaitre qui décrit la débâcle de 1940 … Nous nous en relèverons, mais sans doute, un mouvement social de ce style, je n’imagine pas en revoir de sitôt ! Et ce qui compte - au-delà du fait de savoir combien il y avait de manifestants dans les rues hier - c'est que 4 TGV sur 5 circuleront aujourd'hui ...