Le modèle noir, de Géricault à Matisse au musée d'Orsay
Au-delà de sa forte portée symbolique dans un pays ravagé par la désintégration de la société et la haine de l’ « autre », cette première exposition du genre en France donne simplement et superbement à voir la beauté des visages et des corps …
Son titre aussi interpelle : la double signification du terme « modèle », à la fois sujet représenté et porteur de valeurs.
Ainsi donc, depuis deux siècles, les personnes à la peau sombre sont présentes dans notre société, et pas seulement dans les lointaines contrées jadis colonisées … Ils étaient là, parmi nous et seuls les artistes en percevaient la troublante beauté … Dans la peinture, tout d’abord, mais aussi dans la littérature et bientôt la musique, partout prégnante aujourd’hui.
L’idée qui sous-tend cette exposition est de redonner leur pleine identité à ces personnes qui ont inspiré les peintres. On sait aujourd’hui que la servante qui porte des fleurs à Olympia (Manet) s’appelait Laure et qu’elle habitait 11 rue de Vintimille, que la belle « Négresse » peinte en 1800 par Guillemine Benoist se prénommait Madeleine … et que l’athlète qui inspira Théodore Chasseriau (lui-même métisse) portait le nom de Joseph.
Même si souvent, la présence d’une femme noire, et souvent de dos, souligne la blancheur éclatante de la femme nue étendue en face d’elle, on est touché par la beauté sculpturale de ces hommes et de ces femmes qui bientôt ne serviront plus seulement de faire-valoir : il en est ainsi de la Jeune femme aux pivoines de Frédéric Bazille (1870), ici en haut de l'écran.
L’aspect politique du propos est tout aussi intéressant. On y trouve naturellement des œuvres de propagande abolitionniste, mais le parcours vers la liberté et surtout la dignité sera semé d’embûches : si un premier décret de 1794 ouvre aux esclaves affranchis des colonies la pleine citoyenneté française sans distinction de couleur, il est vite contredit par le rétablissement de l’esclavage par Bonaparte en 1802 – l’abolition est un lent processus qui achoppe sur les réalités économiques – qui n’aboutira qu’en 1848.
La Grande Guerre et l’arrivée de tirailleurs africains et des soldats noirs américains vont faire évoluer le regard. Les artistes noirs américains trouvent à Paris une considération qu’ils n’ont pas à Harlem, leur musique et leur art sont à la mode, ils vont révolutionner l’art occidental. Un symbole : Joséphine Baker, un concept : la « négritude », forgé par le poète martiniquais Aimé Césaire, qui définit l’identité noire en termes de résistance, valorisant ce qui jusque-là était méprisé. Fernand Léger, Henri Matisse, Wilfredo Lam, André Masson rejoindront les forêts oniriques du Douanier Rousseau …
Il y a encore un dur chemin à faire pour tordre le cou à des idées préconçues aussi absurdes que mortifères. Mais ce genre d’exposition riche, bien expliquée, éclairante y contribue.
Le modèle noir de Géricault à Matisse, exposition au musée d’Orsay jusqu’au 21 juillet, ouvert tous les jours sauf le lundi.