Dans l'ombre du brasier, roman d'Hervé Le Corre
Je regarde du coin de l’œil la télévision en continu dont j’ai coupé le son …
Vitupérations, affrontements, injures, tirs de défense, mouvements soudains d’attaque … Je suis moi aussi au cœur d’une bataille, bien plus meurtrière, des deux côtés. Il n’est pires conflits que les guerres civiles et la plus sauvage fut sans doute celle qui opposa en mai 1871 les Versaillais aux Communards.
Au-delà de l’intrigue qui tisse son lien complexe au long du roman, c’est le spectacle assourdissant de cette lutte inégale et sans issue qui fait la valeur de ce récit. Sifflements d’obus, rafale des mitrailleuses, impact des balles dans les corps ou laissant comme des traits de craie sur la pierre blonde des immeubles du baron Haussmann, fumées noirâtres, pluies d’ardoises coupantes comme des couperets volants, écroulements de pans d’immeubles venus vomir sur la chaussée … Et puis les cris des blessés, les ordres et les contrordres d’une troupe d’idéalistes mal équipés, mal nourris, mal commandés.
Paris doublement assiégée se présente en flammes et en décombres (voir l’ouvrage d’Hélène Lewandowski « La face cachée de la Commune ») durant cette semaine sanglante de mai 1871, reconquise maison par maison, barricade par barricade, alors que l’utopie de république sociale s’évanouit une fois de plus dans une répression que l’on sait être sans pitié.
Au milieu de ce chaos, une affaire d’enlèvements de jeunes filles jetées en pâture à des bourgeois, des Prussiens ou un photographe pornographique. Et des personnages attachants.
Trois soldats de la Garde Nationale, un commissaire de police relieur de son métier mais élu de son quartier, un étrange cocher de fiacre, un serial killer, déjà rencontré dans un précédent roman, une jeune femme courageuse … Leurs destins se croisent et ils traversent Paris de part en part. On se retrouve au carrefour du boulevard Montparnasse et de la rue Vavin, au Jardin du Luxembourg, rue Notre-Dame des Champs, à l’école des Mines, rue Soufflot, au Panthéon, rue de Sèvres, à l’hospice des Incurables puis rive droite rue de Rivoli, devant le palais des Tuileries en flammes, dans la salle d’un théâtre du boulevard du Crime avec les ambulances et les blessés …
Le style est magistral, le suspens haletant, les rebondissements surprenants. Bref, voici l’un des meilleurs livres qui me soit tombé sous les yeux depuis plusieurs mois. Et c'est la suite de "L"homme aux lèvres de saphir" paru en 2004.
Dans l’ombre du brasier, roman d’Hervé Le Corre, chez Rivages/noir, 488 p., 22,50€
N.B. : Merci à Bernard Poirette, matinalier du week-end sur Europe1 qui a mis en lumière ce livre samedi dernier et m’a fait découvrir un nouvel auteur que je vais approfondir certainement ….