René Rémond, biographie de Charles Mercier
C’est un livre de référence, largement fondé sur la thèse de doctorat de Charles Mercier, jeune historien (né en 1977), Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bordeaux, avec toutes les caractéristiques de ce genre d’ouvrage : beaucoup de citations, des notes innombrables … mais écrit dans un style tout à fait accessible.
Car René Rémond (1918 – 2007) est LE professeur dont l’enseignement a structuré ma vision de la politique et des institutions françaises, comme les cours de Raymond Barre m’ont initiée à l’économie. Comme plus de 25000 étudiants (rien qu’à Sciences Po) j’assistais à ses cours par plaisir et non par obligation. Avec ce livre, écrit avec respect mais objectivité, j’ai découvert chez lui des aspects méthodologiques et spirituels insoupçonnés. Et j’ai l’impression, en commentant sa biographie, de lui payer tribut.
René Rémond : un intellectuel engagé dont le champ de compétences s’étend du début du XIXème siècle (ah, l’importance capitale de la Restauration !) à la fin du XXème siècle (et la querelle toujours renaissante de la laïcité). Pour la plupart des Français, il est connu pour ses commentaires des soirs d’élections présidentielles, au côté des journalistes comme Jean-Pierre Elkabbach, Jean-Marie Cavada ou Alain Duhamel. Et pour moi, c’était essentiellement l’auteur de son best-seller maintes fois réédité sur les Droites en France.
Mais je n’imaginais pas son activité protéiforme et débordante, marquée par une cohérence de pensée inébranlable et la fidélité à la foi catholique. Toute sa vie, il fut un militant chrétien ouvert au dialogue, un intellectuel centriste, un universitaire du plus haut niveau, un manager habile à susciter le consensus, un homme de médias et d’action. Lui-même se définissait ainsi : « quelqu’un qui s’essaie à réfléchir sur l’action, le présent, qui se propose de l’expliquer, d’en rendre raison, de le comprendre et d’aider les autres à le comprendre. »
En vérité, j’ai cessé de m’intéresser à René Rémond en 1967, à la fin de mes études … et c’est pourtant à ce moment que ce professeur accède à une responsabilité extraordinaire : il est le premier Président de l’Université Paris X-Nanterre, pendant les événements de mai 68, plongé dans le maelström de la révolte des étudiants et des professeurs. Il parvient à maintenir le dialogue avec les gauchistes et les communistes, malgré la violence parfois physique.
Il fut aussi le Président du Centre catholique des intellectuels français, dans continuité de son action au sein des Jeunesses étudiantes chrétiennes et dans la Résistance. Car l’homme n’a jamais cédé aux sirènes du marxisme, tellement en vogue en 1945. Dans ce livre, j’ai découvert les multiples affrontements qui traversent l’enseignement et la recherche historiques et ses castes irréconciliables. J’ai appris avec tristesse que, selon Pierre Nora, Fernand Braudel, un de mes auteurs préférés, méprisait René Rémond !
Président de la Fondation nationale des Sciences Politiques, René Rémond y a connu une longévité exceptionnelle. Et, naturellement, il a eu des contacts fréquents avec les ténors de la politique et les journalistes pour lesquels il était un très « bon client ». Sa sagesse lui a valu de diriger ou de participer à des commissions sur des sujets ultra-sensibles comme le rôle de la hiérarchie catholique dans la protection de Paul Touvier ou la commission Stasi sur la laïcité. Son apport n’y a pas toujours été apprécié à sa juste valeur.
Un livre qui donne une idée approfondie de ce savant bienveillant à l’allure athlétique et à la voix grave et claire, travailleur acharné et sensible aux honneurs, ayant milité toute sa vie pour l’étude de l’histoire du contemporain, celle où les témoins sont encore disponibles, et, derrière l’écume des événements, pour une continuité de convictions politiques et une cohérence de la pensée remarquables malgré de rares infléchissements.
René Rémond, une traversée du XXème siècle, préface de Pierre Nora, de l’Académie française, aux éditions Salvator, 412 p., 22€