L'affaire des corps sans tête, polar historique de Jean-Christophe Portes
Il faut peu de choses pour me procurer un grand plaisir. Découvrir au détour d’un bandeau publicitaire un nouvel auteur fait partie de ces petites joies de l’existence. Ici, en musardant dans ma librairie préférée (La Procure, rue de Mézières), j’ai été accrochée par l’appréciation de Gérard Collard, le libraire à la houppe brune … et j’ai adoré.
Grande lectrice de livres d’histoire et dévoreuse de polars, je cherchais un nouveau héros pour me consoler de la perte irrémédiable de Bernie Gunther. Voici que surgit de la période révolutionnaire le jeune et intrépide Victor Dauterive, sous-lieutenant de Gendarmerie et protégé de La Fayette, ouvert à la philosophie des Lumières mais attaché à la légitimité en l’attente d’une Constitution.
Il a dix-neuf ans, la peu douce et les cheveux bouclés. Son enfance auprès d’un père aristocrate sans scrupule qui le destine d’abord à la prêtrise puis au droit fut cruelle mais lui a permis de s’aguerrir dans des chevauchées et des jeux avec les paysans qui l’ont fortifié. Il s’est enfui et a trouvé refuge chez le héros des Deux-Mondes qui lui confie une enquête particulièrement difficile, en cette période troublée qui se situe entre le 6 octobre 1790 – où la famille royale est ramenée par la populace aux Tuileries pour y être tenue sous bonne garde – et la fuite à Varennes, en juin 1791.
L’affaire des corps sans tête est au départ une affaire criminelle classique : trois cadavres proprement décapités sont retrouvés dans la Seine à quelques jours d’intervalle, tous assassinés par un coup de couteau au niveau du foie et lestés au moyen de cordes identiques à celles dont se servent les bouchers. Picot, brigadier de Gendarmerie à Nanterre, aidé du chirurgien-barbier Bouvreuil ne vont pas tarder à conclure que les trois corps ont été occis de la même main … Mais l’affaire a d’autres adhérences.
Dans ce pays en ébullition où l’autorité publique chancelle, des agitateurs de tous bords s’affairent à déstabiliser le peu d’ordre demeurant autour d’un roi assigné à résidence aux Tuileries, sous la surveillance de l’Assemblée. Journalistes stipendiés, aristocrates ultras qui rêvent d’abattre le roi au profit de ses frères ou de son cousin Orléans et de revenir à l’Ancien Régime, députés félons : l’enquête de Victor Dauterive devient de plus en plus dangereuse au milieu des trahisons, de la corruption et de l’agiotage, parmi des nervis opérant sous couvert de la police.
Comme toujours dans ce genre littéraire, l’auteur met en scène des personnages historiques : Robespierre, Danton, le brasseur Santerre, Olympe de Gouges, le marquis de Bouillé, le maître de poste Drouet, le banquier Perregaux … Mais c’est surtout l’ambiance de ce Paris révolutionnaire qui emporte le lecteur, avec ses ruelles coupe-gorge, ses « mouches », ses estaminets, la difficulté de faire circuler les messages, la faiblesse des indices … Un Paris où on se voit cheminer d’une rive à l’autre … Passionnant et instructif, en même temps !
L’affaire des corps sans tête, polar historique de Jean-Christophe Portes, édité par City Poche, 412 p., 8,20€