Enfers et fantômes d'Asie
Depuis longtemps, j’admirais les estampes insolites d’Hokusaï mettant en scène des têtes de femmes volantes ou dotées d’une très long cou, et les figures épouvantables de démons chez Kuniyoshi, Yoneshige ou Haronobu.
Ces personnages destinés à hanter l’imaginaire ou montrant des scènes de tortures inouïes ne sont donc pas seulement l’apanage des tableaux du Jugement dernier de nos églises médiévales. Car si le bouddhisme a contribué à la construction de cet imaginaire, c’est bien en marge de la religion, dans l’art populaire et profane, que la représentation des spectres s’est surtout développée,
Des peintures bouddhiques au J-Horror, des estampes d’Hokusai à Pac-Man, du culte des esprits en Thaïlande au manga d’horreur, la figure du fantôme hante l’imaginaire asiatique depuis des siècles. En Chine, en Thaïlande ou au Japon – terrains d’étude de l’exposition – l’engouement populaire pour l’épouvante est bien réel, imprégnant une grande diversité des productions culturelles. Esprits errants de la forêt, femmes-chats vengeresses, revenants des enfers affamés (« walking dead »), vampires sauteurs ou yokaïs (créatures fantastiques du folklore japonais) : leurs apparitions sont multiples et se jouent des époques et des supports artistiques.
L’exposition présentée par le musée du quai Branly est particulièrement riche : des gardiens de tombes et de temples, statues de cire, netzukés, estampes anciennes, Phi, êtres surnaturels qui reviennent hanter les vivants, vagabonds maléfiques, costumes chamarrés de personnages de théâtre et de prêtres taoïstes, tous issus des contes populaires de Chine, du Japon, de la Thaïlande … sources évidentes des Pokemons et monstres si chers aux enfants.
Comment devient-on un fantôme ? En général, à la suite d’une mort violente ou d’une injustice non punie ou de rituels funéraires non respectés. Son activité favorite ? La vengeance contre ceux qui ont causé sa mort : il peut les attaquer directement ou les entraîner dans la folie jusqu’à la mort. Pour calmer les fantômes, il faut se rappeler de leur histoire et réparer la faute qui a provoqué leur mort, entretenir le souvenir des ancêtres et les respecter. Avec cette exposition, nous apprendrons à reconnaître les fantômes squelettiques, la japonaise dans son linceul avec ses cheveux décoiffés, le vampire sauteur chinois – on attachait les chevilles des morts pour éviter leur retour parmi les vivants – ou les spectres prédateurs.
Ainsi pouvons-nous constater que le besoin et par conséquent l’art de se faire peur survit à travers les civilisations et les siècles … A méditer !
Enfers et fantômes d’Asie, exposition au Musée du quai Branly – Jacques Chirac, jusqu’au 15 juillet, ouvert tous les jours sauf le lundi – 10€