L'expérience de la couleur, exposition à la Manufacture de Sèvres
On parle beaucoup de la place que l’intelligence artificielle va désormais tenir dans notre vie. Ce que je puis affirmer c’est que jamais elle ne sera capable d’imaginer et encore moins de réaliser les merveilles de création que l’on peut admirer en toute quiétude – il n’y a pratiquement personne dans ce musée – en visitant la Cité de la Céramique de Sèvres …
Actuellement, se tient l’exposition temporaire « L’expérience de la couleur » qui commence au 3ème étage, dans les combles de la vénérable institution : un moyen de voir les ateliers par les fenêtres, d’imaginer l’époque où une foule d’ouvriers et d’artistes s’affairaient pour réaliser les merveilleuses commandes royales et princières de ce qui fut appelé au XVIIIème siècle l’or blanc : la porcelaine.
Aujourd’hui, c’est la quintessence de l’art et du savoir-faire français qui est conservée ici … et on ne cesse d’y admirer les extraordinaires créations – aussi bien celles des siècles passés que les plus contemporaines, les plus débridées, les plus loufoques parfois.
Chaque couleur a son histoire : symbolique (il suffit de lire Michel Pastoureau), mais aussi technique. La couleur est source de plaisir, attribut de pouvoir, catalyseur de mémoire, outil puissant affectant nos émotions. Que dire de la matière si lisse, soyeuse, si douce et dure à la fois, solide et vulnérable qu’est la porcelaine. Couleur-matière, couleur-espace, couleur-lumière, couleur-geste …
L’imagination des céramistes modernes est sans limite.
On parcourt les continents et les siècles avec les différentes découvertes qui provoquèrent, dans la décoration des pièces commandées par la Cour, des modes successives depuis 1740 : Bleu céleste, rose Pompadour, Bleu de Sèvres*, jaune de Naples, orange de Sottsass, vert Hyber. A chaque découverte chimique correspond un engouement pour une couleur.
C’est une jubilation de voir la réappropriation de la couleur et l’explosion de formes nouvelles – la porcelaine permet à peu près tout ! – par les céramistes contemporains des XIXème et XXème siècle : rouges sang de bœuf d’Ernest Chaplet, Daniel de Montmollin, Bertrand Lavier et son canapé La Bocca, les cafetières de Sottsass ou son « truc » à ficelles que vous trouverez en vente au rez-de-chaussée pour la modeste somme de 22000 €, ou le vase bleu à charnières d’Arman …
Si vous préférez remonter à l’antiquité, commencez la visite des collections permanentes par le rez-de-chaussée justement : les premières faïences d’origine musulmane, les modeleurs géniaux de la Renaissance italienne – merveilleuse madone des frères Della Robbia – plats de cérémonie de Delft, recherches de Palissy, créations sans cesse imitées des potiers Ming bleu et blanc, motifs japonais Imari.
Il faudrait plusieurs jours pour tout voir. Ma préférence va sans doute aux grands vases « Art Nouveau » du salon d’honneur. Difficile à caser dans un appartement parisien. Ce que je regrette aussi, c’est l’absence de mise en situation de ces merveilleux ouvrages d’art : on pourrait consacrer une salle pour dresser les tables des Grands à travers les siècles, on pourrait aussi consacrer un peu plus d’espace au process de fabrication : à Meissen, berceau de la porcelaine européenne, on explique au visiteur comment on obtient une assiette …
Les émissions de la télévision nationale ont du bon : c’est après celle de Sophie Jovillard consacrée aux arts de la table que l’idée de cette visite nous est venue à l’esprit …
*N.B. : pour vous procurer un petit vase d'environ 25 cm de haut en Bleu de Sèvres et de forme tout ce qu'il y a de plus épurée, juste soutachée d'un filet or mat, il faut compter 4600€, tout de même ...
La porcelaine de Sèvres reste une chasse-gardée de princes et de chefs d'Etats ....
L’expérience de la couleur, exposition au musée de la céramique – 2 place de la Manufacture 92310 Sèvres – jusqu’au 2 avril. A partir de 10 h., sauf le mardi, 8€.