Danse Degas Dessin (DDD), essai par Paul Valéry
«Comme il arrive qu'un lecteur à demi distrait crayonne aux marges d'un ouvrage et produise, au gré de l'absence de la pointe, de petits êtres ou de vagues ramures, en regard des masses lisibles, ainsi ferai-je, selon le caprice de l'esprit, aux environs de ces quelques études d'Edgar Degas.
Ceci ne sera donc qu'une manière de monologue, où reviendront comme ils voudront mes souvenirs et les diverses idées que je me suis faites d'un personnage singulier... Cependant qu'au regard naïf, les œuvres semblent naître de l'heureuse rencontre d'un sujet et d'un talent, un artiste de cette espèce profonde, plus profond peut-être qu'il n'est sage de l'être, diffère la jouissance, crée la difficulté, craint les plus courts chemins.»
Ainsi commence l’essai que Paul Valéry consacre en 1930 à celui qu’il vénérait comme ami et peintre, à jamais insatisfait de ses œuvres.
Paul Valéry – alors âgé de 25 ans - avait rencontré Edgar Degas (1834-1917) en 1896 chez l’ingénieur et peintre Henri Rouart. Ce livre-hommage – une suite de considérations tendres et respectueuses sur la vie et l’art du peintre, le mouvement, la peinture, la philosophie, la danse - lui a été commandé par Ambroise Vollard au tournant des années 30 mais publié seulement en 1936.
DDD est une réflexion universelle sur la création. Elle occupe un tout petit espace dans l’œuvre protéïforme de Paul Valéry (76 pages sur 2883 dans l’édition de la Pleïade soit 2,67% !), un texte court, un peu décousu, qui vaut largement la peine d’être lu. Surtout en regardant les innombrables dessins de Degas qui ont été ajoutés dans l'édition illustrée de Gallimard en 1938, ses pastels aux couleurs éclatantes, ses portraits sans complaisance.
Valéry – que Degas appelait Ange – est un vieillard nerveux, sombre presque toujours, parfois sinistre et notoirement distrait, avec de brusques fureurs ou traits d’esprit, des impulsions enfantines, des caprices … L’auteur oppose son mauvais caractère à la nature amène, délicate, délicieusement ironique de Mallarmé.
Il convient de savourer la décortication de l’acte du dessin : les danseuses, certes, mais aussi le cheval « Tout nerveusement nu dans sa robe de soie » dit Degas …Degas et ses planchers admirables : le sol est un des facteurs essentiels de la vision des choses. Degas et sa propension à dessiner la mimique, la grimace de l’effort, Degas et le sonnet – il en a écrit une vingtaine ...
Degas, fou de dessin : une passion, une discipline, l’objet d’une mystique et d’une éthique, qui se suffisaient à elles seules, une préoccupation souveraine qui abolissait toutes les autres affaires, une occasion de problèmes perpétuels et précis qui le délivrait de toutes autres curiosités. Pour Degas, « Le Dessin n’est pas la forme, il est la manière de voir la forme ».
A lire par tous ceux qui se passionnent pour la peinture, et qui redécouvriront un texte plein de charme et de tendresse d’un auteur largement oublié aujourd’hui mais qui fut l’un des plus respecté de son temps.
Danse, Degas, Dessin, essai de Paul Valéry, en collection Folio essais, 272 p.
N.B. : à découvrir surtout au regard de l'exposition temporaire inaugurée il y a peu au Musée d'Orsay à propos de cette relation passionnante entre Paul Valéry et Edgar Degas et qui dure jusqu'au 25 février.