Les pièges de l'exil, thriller de Philip Kerr
Hourra ! J’ai retrouvé mon héros préféré, Bernie Gunther. Sa nouvelle enquête se déroule en 1956 à Saint-Jean-Cap-Ferrat, pendant la crise de Suez …
Bernie va bientôt passer le cap de la soixantaine et il s’est réfugié sur la « French Riviera », sous l’identité de Walter Wolf, comme concierge de Grand Hôtel. Ses capacités linguistiques étendues, son expérience à l’Hôtel Adlon de Berlin ont dû lui être utile. Sa femme Elizabeth vient cependant de le quitter. Ne supportant plus l’exil, ne maîtrisant pas la langue, elle a préféré rentrer à Berlin. Il est malheureux, au bout du rouleau, songe sérieusement au suicide …
Mais comme toujours, on ne se débarrasse pas facilement d’un passé tel que le sien. Bernie va se trouver embringué dans une affaire de chantage dont la victime principale est le célèbre écrivain britannique William Somerset Maugham, exilé lui aussi dans sa somptueuse Villa Mauresque, au milieu de ses mignons. Car il ne fait pas bon d’être homosexuel en Grande-Bretagne, c’est même dangereux, et le vieil homme constitue une cible de choix pour un maître-chanteur que Bernie a bien connu en 1937 à Berlin, et aussi en 1945, à Königsberg. Bien, enfin, c’est une façon de parler, car l’homme est un salopard de première.
Une photographe compromettante constitue l’amorce du chantage, mais il y a bien plus dérangeant. Car Somerset Maugham a vécu plusieurs vies : médecin, mais surtout espion de la Couronne depuis la Grande Guerre, voyageant sous la couverture idéale de ses succès littéraires dans le monde entier ensuite, honorable correspondant du MI5 et du MI6 (c’est curieux, j’ai presqu’espéré voir apparaître dans ce roman la figure élancée du Capitaine Francis Blake …). Sur la photo, on reconnaît en effet trois hommes nus au bord de la piscine : Maugham, Antony Blunt et Guy Burgess, deux des traitres de la fameuse « Bande de Cambridge » avec John Cairncross, Kim Philby et Donald Maclean, ces anciens étudiants recrutés par les services secrets soviétiques alors qu’ils exerçaient au plus haut niveau des services secrets britanniques.
Ces événements et personnages historiques ont marqué notre jeunesse hantée par la Guerre Froide. Les luttes intestines entre services secrets d’un bord comme l’autre (entre le MI5 et le MI6, entre le GRU et le KGB, la piètre opinion qu’ont les Américains des services secrets britanniques …) et les fabuleuses capacités d’infiltration, d’enfumage et de manipulation ouvertes aux deux blocs …
Bref, je me demande si les lecteurs qui n’appartiennent pas à notre génération comprendront les enjeux de cette époque troublée … Sauf les spectateurs assidus des chaines de télévision comme Histoire ou Toute l’histoire, qui auront sans doute apprécié un docu-fiction récent sur le redoutable Erich Mielke, l’homme des services secrets de la RDA qui a procuré à Bernhard Gunther son vrai-faux passeport pour se réfugier en France … A noter aussi que Philip Kerr a aujourd’hui l’âge de son personnage … et que, sans doute, il lui ressemble beaucoup !
Les pièges de l’exil (The Other Side of Silence), thriller de Philip Kerr traduit de l’anglais par Philippe Bonnet, au Seuil - 388 p., 22,50€