Vermeer et les maîtres de la peinture de genre, au Louvre
J’avais renoncé, il y a plus de 50 ans, à visiter la dernière exposition Vermeer à Paris, à cause de l’affluence. Cette fois, nous avons bravé les queues pour ne pas risquer de mourir sans avoir vu celle-là. Et l’attente en valait largement la peine.
Pouvoir contempler 12 tableaux parmi les 36 de ce peintre qui sont actuellement recensés dans le monde est un privilège (Vermeer ne signait ni ne datait ses tableaux). On mesure son extraordinaire talent d’autant plus que chaque œuvre est mise en parallèle avec celle de ses contemporains, dans des décors et des postures étrangement similaires … cependant, on distingue la lumière inimitable de Vermeer au premier coup d’œil : voir "la peseuse d'or" de Ter Borch, avec le mur d'un ocre violent, placé au début de l'exposition à côté de "La femme à la balance" qui concentre le rayon de lumière sur son ventre ...
Le propos de cette exposition est de nous montrer comment cette période de l’art hollandais fut prospère, et la demande de tableaux « de genre » - c’est à dire ni peinture religieuse, ni peinture d’histoire – très forte auprès d’une bourgeoisie marchande du troisième quart du XVIIème siècle en plein essor, siècle d’or de la hollande marchande et conquérante. Ces toiles nous montrent en filigrane la réussite commerciale, la douceur domestique, les vertus morales du foyer, la richesse des étoffes, l’éclat des matières nobles, le plaisir de la musique en famille …
Chez Vermeer (1632 – 1675), dont on ne sait pratiquement rien de la vie si ce n’est que son père fut cabaretier puis marchand de tableaux, et qu’il mourut à 43 ans totalement ruiné après l’effondrement du marché de l’art consécutif à la guerre menée par Louis XIV contre les Provinces Unies , le silence et la discrétion triomphent. On admire l’économie de moyens, la constance dans les poses, le décor à peu près immuable : cette fenêtre à vitrail, la lumière diffuse qui vient de la gauche, les atours du modèle – la plupart du temps une jeune femme, souvent enceinte, vêtue d’une casaque jaune à parements d’hermine, occupée à une tâche qui requiert la concentration – peser de l’or, broder, jouer d’un instrument de musique, lire ou écrire une lettre. Les meubles aussi : miroir, carte géographique, globe céleste, tapis de table … Il y a cependant deux portraits d’hommes, des savants – le géographe et l’astronome – qui se font pendant.
Le long silence de Vermeer dans l’histoire de l’art interpelle aussi : rien sur ses tableaux jusqu’à 1866 et sa « découverte » par le critique William Bürger, puis 10 ans plus tard par Eugène Fromentin et surtout Marcel Proust qui met en scène le malaise de Bergotte devant la « Vue de Delft » et son pan de mur jaune.
Le fil rouge de l’exposition confronte Vermeer avec ses contemporains : Gérard Dou (1613 – 1675), Jan Steen (1626 – 1679), Gerard Ter Borch (1608 – 1681), Gabriel Metsu (1629 – 1667). On note les similitudes, ainsi que les différences. L’art de Vermeer saute aux yeux.
Naturellement, les conditions de la visite sont parfois difficiles car les tableaux sont de petites dimensions et la foule dense. Mais ces instants fugaces passés devant de telles beautés méritent un peu de souffrance, tellement on repart ému de tant de simplicité, de tendresse et d’humilité, devant ces couleurs si fraîches qu’on dirait que le pinceau du maître vient tout juste d’être posé.
J’ai une légère préférence pour une petite toile représentant une jeune femme de la haute bourgeoisie jouant du virginal (sorte d’épinette) drapée dans une épaisse soie jaune. On a pu l’attribuer à Vermeer car la toile qui lui sert de support provient du même lé que la célébrissime dentellière à laquelle elle fait pendant … en toute discrétion.
Vermeer et les maîtres de la peinture de genre, au musée du Louvre jusqu’au 22 mai. Tous les jours sauf le mardi.