Fritz Bauer, un héros allemand, film de Lars Kraume
Le cinéma allemand n'en finit pas de remettre sur le tapis son histoire contemporaine, longtemps passée sous silence, celle de la République Fédérale des lendemains de la Secondde Guerre Mondiale. Avec ses "oublis", ses remises en selle des anciens cadres nazis dans l'indulgence générale afin de permettre la renaissance de l'économie allemande, et cependant, la volonté de certains survivants de mettre à jour la vérité des années noires, la responsabilité des tortionnaires envers les opposants politiques et surtout les Juifs européens.
Parmi les "chasseurs de nazis" efficaces, nous connaissons en France le couple extraordinaire formé par Beate et Serge Klarsfeld et leur action décisive pour faire juger en France le criminel de guerre Klaus Barbie. Mais avant, il y avait eu la traque et l'enlèvement du logisticien de la Solution Finale, Adolph Eichmann. C'est de cette histoire qu'il s'agit.
A l'origine de cette affaire, un procureur général du Land de Hesse, Fritz Bauer. Contre toute sa hiérarchie qui ne tient pas du tout à ce que cerains noms soient dévoilés, malgré des menaces de mort explicites, contre la plupart de ses confrères dont certains furent de hauts dignitaires SS (le titre allemand du film est "Der Staat gegen Fritz Bauer"), cet ancien social-démocrate juif né en 1903, émigré au Danemark puis en Suède où il fut compagnon de Willy Brandt, s'éfforce d'attraire les anciens nazis devant la justice de son pays. Non par vengeance, mais pour qu'éclate la vérité et que la jeunesse allemande soit en mesure d'appréhender toute son histoire.
Fritz Bauer n'est pas une personnalité lisse ... Il fume de gros cigares, ne rechigne pas sur le cognac et, dans sa jeunesse, a vécu des expériences homosexuelles, un travers considéré comme un délit passible de prison dans la RFA des années 60.
Personne ne souhaitant lui préter main forte en Allemagne pour débusquer Eichmann en Argentine où celui-ci vit chichement sous un faux nom, Bauer va tout faire pour passer l'information aux services secrets israéliens, ce qui constitue aux yeux des allemands une trahison. Mais il passera outre, continuant son action en poursuivant les anciens cadres du camp d'Auschwitz, ce qui fera l'objet du premier grand procès des criminels de guerre en Allemagne (et un excellent film : "Le labyrinthe du silence", dont l'action se situe juste après ...)
Le film est construit comme un thriller, c'est une trâme compliquée de chantages en tous genres, montée de façon rapide, superbement interprêtée (Burghart Klaussner a juste l'âge du personnage qu'il incarne, Ronald Zehrfeld, en procureur adjoint torturé par ses pulsions, joue tout en nuances ...), la reconstitution de l'ambiance des années 60 en RFA très soignée (j'en témoigne, c'était le temps où j'y passais pratiquement tous mes étés). Du cinéma très classique, didactique mais tout à fait efficace !
Un film à voir à plusieurs niveaux : historique, politique et psychologique.