Much loved, film franco-marocain de Nabil Ayouch
Voilà un film qui illustre – une fois encore – la misère et l’absence d’espoir selon les uns, la capacité des femmes à survivre coûte que coûte selon les autres. Loin d’exalter la prostitution dont il ne cache aucun des aspects les plus dramatiques : humiliation, violence, asservissement, marchandisation des enfants, alcool, drogue, bannissement parfois double lorsqu’il s’agit d’homosexuels, le film de Nabil Ayouch nous glisse dans le quotidien de quatre jeunes femmes qui commercialisent le seul capital dont elles disposent : leur corps.
Noha, Soukina, Randa, Hlima vivent à Marrakech, font les putes de luxe avec les touristes saoudiens ou européens, sortent dans les boîtes chics jusqu’au bout de la nuit, portent des tenues provocantes dans lesquelles ces hommes glissent des billets de 100 dirhams, ou parfois les battent comme plâtre. Au bout de la nuit, elles se retrouvent dans un petit appartement en pyjamas d'adolescentes. C’est Saïd, le chauffeur de taxi, qui les accompagne, veille sur elles. Toutes espèrent pouvoir amasser assez d’argent un jour pour s’en sortir : l’une pour aider sa famille qui la rejette, s’occuper de son fils délaissé, l’autre pour se faire épouser, une autre encore admire l’ancienne qui a réussi à ouvrir un salon de coiffure. Car elles ne sont pas sous la coupe d’un souteneur, même si le racket de la police existe au Maroc comme ailleurs. De temps en temps, il faut y passer et c’est un viol sans fanfreluches. Difficile, mais vrai. En dehors de ce tribut périodique, elles sont « libres ».
Le réalisateur ne nous épargne rien, et surtout pas la tendresse et la solidarité de ces femmes courageuses. Loubna Abidar (la seule actrice professionnelle, couronnée du prix d’interprétation au Festival d’Angoulème), Asmaa Lazrak, Halima Karaouane, Sara Elhamdi Elalaoui incarnent Noha, la meneuse et organisatrice, Soukina, Randa qui préfère les femmes, Hlima droit venue du bled. Et deux hommes sont auprès d’elles : Abdellah Didane, bienveillant chauffeur et Carlo Brandt, le triste français amoureux.
Quelle sort attend ces femmes ? La dernière réplique nous laisse une ouverture, devant la mer à Agadir : « Cette soirée du 28, est-ce qu’on est obligées d’y aller ? » Noha ne répond rien …
A nous aussi de nous demander pourquoi en ce début d’automne 2015, on nous parle autant de la prostitution d’hier comme d’aujourd’hui, des lits froissés de Fragonard aux femmes au regard perdu du musée d’Orsay ?