Encres de Chine, polar chinois de QIU Xiaolong
Moi qui adore les polars à personnages récurrents, je viens de faire une découverte avec la série des enquêtes de l'inspecteur en chef Chen, qui se déroule à Shangaï, dans la société chinoise des années 90.
L'auteur (62 ans), qui a personnellement souffert dans sa jeunesse de la Révolution Culturelle - son père étant accusé d'être un capitaliste - a émigré aux Etats-Unis après les événements de la place Tienan men. Il enseigne à l'Université de Saint-Louis. Son analyse, celle d'un acteur et d'une victime, nécessairement subjective mais lucide, permet de s'immerger dans une Chine en pleine mutation culturelle, politique et économique.
L'inspecteur Chen est un homme complexe : policier, il est aussi poète, traducteur et surtout gastronome, extrêmement perspicace mais aussi respectueux de son adjoint Yu Guangming, qui échange volontiers ses préoccupations policières avec son épouse Peiqin, grande dévoreuse de livres. "Encres de Chine" commence par exemple avec la déception de Yu, auquel un appartement avait été attribué par la municipalité grâce à la recommandation de Chen, mais qui lui est "passé sous le nez" sous un prétexte fallacieux.
Parmi les personnages, je citerai encore Vieux Chasseur, le père de Yu, policier à la retraite mais surveillant de comité de quartier, le Secrétaire du Parti Li, chef de la police criminelle de Shangaï et supérieur hiérarchique de Chen, et Monsieur Gu, un propriétaire de boite de karaoké, un "Monsieur Gros-Sous" très lié avec les triades. Sans oublier Nuage Blanc, la ravissante "petite secrétaire" payée par Gu pour seconder Chen dans un travail de traduction grassement payé, réalisé en marge de son activité de police.
Yue Lige, ancienne Garde-Rouge devenue enseignante, qui a été la compagne d'un professeur chinois dissident envoyé comme elle en rééducation à la campagne et qui y est mort par manque de soins, a été étranglée dans son minuscule logement. C'est un privilège d'avoir obtenu ce petit espace personnel dans un shikumen, une de ces traditionnelles demeures construites dans les concessions internationales de la Shangaï des années 30, puis divisées à l'extrême pour faire face à la pénurie de logements. Dans ces courées où tout le monde cotoie tout le monde, comment le meurtrier a-t-il pu passer inaperçu ? En fait, la grande angoisse des autorités serait que l'on découvre un motif politique à ce forfait ... Ce serait très mauvais pour l'image du pays à l'étranger, d'autant plus que la victime, écrivain pourtant médiocre, était sur le point de se rendre à Hong Kong et sans doute aux Etats-Unis ...
Derrière l'intrigue, c'est le désarroi du petit peuple devant l'évolution rapide des moeurs et de la situation politique chinoises qui sont décrits : pour les autorités, il est nécessaire de ne pas revenir sans cesse sur les conséquences désastreuses de la Révolution Culturelle, ni même de les rappeler aux citoyens. En revanche demeure l'importance des relations personnelles pour obtenir un avantage, l'omniprésence de la corruption. Le yigi, principe confucéen qui mettait jadis l'accent sur l'obligation morale et la loyauté envers les amis a évolué vers l'obligation de satisfaire l'intérêt de chacun.
Ce roman a été publié en 2004, mais je doute que l'ambiance ait beaucoup changé à Shangaï depuis. La série comporte une dizaine de titres. Je sens que je vais commencer par le premier et les lire, comme j'en ai l'habitude, dans l'ordre. Je trouve en effet cet inspecteur Chen, fin gastronome, particulièrement sympathique !
Encres de Chine, "When Red is black", polar traduit de l'anglais par Claire Mulkaï, édité par Liana Levi, collection Points, 314 p. 7,30€.