Prendre fin, roman par Jean-Pierre Enjalbert
Voici un texte brillant, ciselé, parfois décapant, le plus souvent drôle.
Il décrit par le menu toutes les pensées qui surgissent à l’esprit d’un homme à l’instant où il est foudroyé par une crise cardiaque. On dit communément qu’à cette occasion, toute votre vie passe sous vos yeux comme un film à l’accéléré. Cet homme-là, en un exercice minutieux d’autodérision quasi entomologique, dissèque les mille et un gimmicks de la société à laquelle il a participé, s’insurge en vain contre la Mort qui vient l’arracher aux mythes de la caste pseudo intellectuelle. Et il met 206 pages à rendre les armes avec son âme.
C’est la confession d’un enfant du siècle de l’après-guerre et de la croissance économique, qui a profité à plein des trente glorieuses, un pré-soixante-huitard désabusé, en cet instant fatal, distancié et joliment bavard, complètement autocentré. Un séducteur en série, fasciné par les jambes des femmes, les porte-jarretelles, les amours vénales et déglinguées, qui règle ses comptes - est-ce bien le moment ? - avec les intellos vedettes, les communistes triomphants des années 60 et les mao-spontex d’après 68, le monde de la communication. Seules exceptions à cet éreintement : ses grands-mères et sa troisième épouse. Mais à aucun moment, il n’imagine la douleur et la solitude de celle-ci, le chagrin qu’il laissera derrière lui.
Notre narrateur gisant s’attarde dans le jeu des mots, les tournures détournées avec humour, les références littéraires, philosophiques ou picturales qui sont autant de clins d’œil au lecteur « On est bien de la même caste, vous et moi ! », foulant au pied avec délectation les symboles et les « hochets » de la République bien pensante.
Alors, tout en reconnaissant la qualité du style et l’humour de l’auteur, je ne suis pas pour autant convaincue de la pertinence de son propos. J’ai une première bonne raison de ne pas marcher une minute dans sa combine car, à aucun moment, il n’évoque la douleur. L’infinie douleur causée par l’obstruction soudaine d’une artère coronaire. Moi, je la connais, je l’ai vécue. Il est vrai que des pensées vous assaillent en ce moment crucial, mais pas du tout de ce genre de lieux communs politico-sociologiques.
Mourir est une expérience grave. On ne l’éprouve qu’une fois dans sa vie. Faut pas la gâcher !
Prendre fin, roman par Jean-Pierre Enjalbert ( à ne pas confondre avec le député du Val-d'oise), aux éditions Belfond, 206 p. 17 €.
Un bon point pour l'éditieur : la jaquette du livre, rigide, comporte un rabat de dernière page qui peut être découpé et constituer un bien pratique marque-page. C'est malin !