La lettre qui allait changer le destin d'Harold Fry arriva le mardi ... roman de Rachel Joyce
Si Babelio ne m’avait pas envoyé ce livre contre l’engagement d’une critique, je pense que je ne l’aurais jamais entamé. Car jamais les livres « vendus » à grand renfort de publicité radiophonique comme étant « le roman de l’année » ne me tentent. Au contraire. Et, une fois avoir tourné la dernière page, je ne sais toujours pas si j’aurais eu tort ou pas.
C’est une histoire en forme de parabole. Harold est un retraité qui toute sa vie fut un homme dépassé. Sa mère a plaqué son père quand il avait treize ans, il ne l’a jamais revue. Son père buvait et, lorsqu’il eut seize ans, il lui offrit un manteau et le chassa de la maison pour continuer à s’enivrer en compagnie de « tantes ». Il s’est marié très jeune avec Maureen, ils ont eu un enfant unique et surdoué, qui a été diplômé de Cambridge, mais a disparu. Harold et Maureen, mariés depuis 47 ans, ne se parlent plus depuis longtemps car ils n’ont plus de mots. Ce livre est aussi celui de la solitude.
Un mardi, Harold reçoit une lettre d’une de ses anciennes collègues qu’il n’a pas revue depuis vingt ans. Queenie lui apprend qu’elle se meurt d’un cancer dans une unité de soins palliatifs de Berwick-upon-Tweed. Harold écrit une réponse maladroite et sort pour la mettre à la boîte. Et puis, tant il sait que cette lettre n’exprime pas tout ce qu’il aurait à dire, il se met en chemin, tel qu’il est, en chaussures de bateau, avec sa cravate et sa chemise de retraité. Il marche, laisse tout en plan pour rejoindre Queenie avec la folle espérance que tout le temps que durera le trajet, elle s’abstiendra de mourir, elle l’attendra. Il n’a pas de carte, pas de boussole, pas de sac à dos, juste sa parka. En chemin, il renverra à Maureen sa carte de crédit et son portefeuille, vivra de cueillette et de dons.
Car le chemin de Kingsbridge (côte sud de l’Angleterre) à Berwick (Ecosse) va durer 87 jours, et, avec les erreurs de parcours, environ 1000 kilomètres. Harold souffre, mais il continue. Il fait des rencontres, parfois bienfaisantes, parfois assommantes, son histoire fait la une des journaux, des disciples s’agglutinent. Il repense à sa vie, à ses échecs, à sa femme, à son fils … « Si on ne pète pas les plombs une fois dans sa vie, c’est sans espoir » (p.45). Ce voyage est une expiation : jamais il n’a apporté d’aide à personne, surtout pas à son fils qu’il n’a pas su comprendre. Ce voyage, c’est une manière de racheter les fautes commises, et d’accepter les bizarreries des autres.
Avec la description de ses doutes, ses crises de découragement, ses renoncements successifs, ses élans irrationnels, Harold livre une allégorie de la foi, sans jamais parler de religion. « Moins de raison, plus de foi. »(p.226). C’est surtout une très belle histoire d’amour entre deux êtres blessés, Maureen et Harold. Car il n’y a jamais rien eu entre Harold et Queenie, juste un secret, une lâcheté de la part d’Harold, une trahison de la part de Maureen.
Dès les premières lignes, j’ai imaginé Harold sous les traits de l’acteur américain James Cromwell, le fermier de Babe, le cochon devenu berger (de Chris Noonan, 1996). Je l’ai « vu » se transformer, maigrir, lui pousser cheveux et barbe, avoir ses chaussures en loques … J’ai voulu aller jusqu’au bout. Le fin est un peu mièvre, mais le style, dépouillé, se laisse lire. Non, je n’aurais sans doute jamais acheté ce livre, mais je ne regrette pas de l’avoir lu. C’est une histoire qui fait réfléchir quand on a 45 ans de mariage au compteur dans moins de 20 jours …
La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry arriva le mardi, roman de Rachel Joyce (The Unlikely Pilgrimage of Harold Fry), XOEditions, 364 p. 19,90€