Le port de l'angoisse ....
Il y a un an jour pour jour, nous étions à Singapour.
Après un voyage mouvementé, j’étais très fatiguée et comme souvent dans ce cas, mon corps me trahit. Malaise vagal. Un, puis un autre, encore un autre …Assez inquiétant pour me conduire à l’hôpital Gleneagles. Angoisse, une nuit sous perf …bref de quoi bien perturber Florence que nous venions voir pour le jour de l’an. Mais en définitive, rien !
Car lorsqu’on détient un pédigrée médical aussi riche que le mien, on ne vit pas tout à fait comme les autres mortels. On s’écoute. A la moindre alerte inexpliquée, on se demande si ce n’est pas pour maintenant, le passage de l’autre côté du miroir. Personnellement, j’y suis préparée. Mais j’ai la candeur d’imaginer que je laisserais des regrets. Alors, je m’accroche !
Et j’enrage de penser à ces 30 000 femmes, rien qu’en France, qui sont entrées dans une angoisse terrible : celle de porter en elles un objet maléfique, un sac prêt à se rompre et à déverser dans leur chair un liquide dévastateur …Pour la plupart, en plus, elles doivent s’en sentir responsable : celles qui avaient besoin d’un peu plus de volume pour se sentir vraiment femme, qui ont choisi et payé fort cher un chirurgien de bonne foi mais se sont fait « fourrer » un truc trafiqué, une marchandise frelatée, une horreur.
Quand je lis les commentaires laissés sur la toile à propos des distinctions à « opérer » entre celles qui ont reçu une prothèse PIP après une reconstruction post-cancer et celles qui ont recouru à une intervention à objectif esthétique, je reste perplexe. D’abord, parce que cette angoisse d’avoir à l’intérieur un truc qui vous bouffe est indescriptible. Je la connais bien.. J’ai dû attendre quelques mois entre l’annonce de mon cancer du sein et la date prévue pour son ablation. J’aurais tant voulu que l’on m’ôte ce truc immédiatement. Mais cela n’était pas urgent, les médecins me l’avaient bien dit, et il fallait « prendre son tour ». Ils savent, eux, il faut leur faire confiance. Il n’empêche. Ensuite, j’ai vécu une année avec une prothèse extérieure : un faux-sein à glisser dans le soutien-gorge, indispensable pour équilibrer les forces des muscles du dos. Invisible de l’extérieur, mais comme le nez au milieu de la figure dans sa tête.
Mon corps asymétrique me faisait honte, même si je savais que c’était transitoire. On ne commande pas à son esprit. J’ai donc attendu que me soit proposée la reconstruction. Et là, j’ai eu un choix à faire entre deux formules : la « légère » où on prélève un lambeau de la peau du dos pour reconstituer le sein manquant en recouvrant un implant mammaire. La seconde, « lourde », consistant à prélever un important morceau de graisse sur le dessus du ventre, suffisant à reformer dans sa totalité un nouveau sein. On m’a expliqué alors que cette technique nécessitait une hospitalisation et de suites opératoires plus longues, serait plus douloureuses, mais qu’à la différence de la première formule où la durée moyenne de vie de l’implant artificiel est d’environ 15 ans, il n’y aurait pas à y revenir. Si je maigrissais, le nouveau sein maigrirait avec moi, si je grossissais, ce serait l’inverse.
J’ai choisi la formule lourde. Tout est à moi. J’ai été hospitalisée quatre jours, j’en ai bavé, mais aujourd’hui, j’apprécie d’autant plus ma chance. Je pense simplement aux femmes porteuses d’implants, quels qu’ils soient. Certes, la responsabilité du trafic odieux qui a conduit la société PIP et son dirigeant Jean-Claude MAS à substituer au gel médical un gel industriel non homologué, est considérable. Mais PIP est insolvable. Cet expédient n’a même pas suffi à lui assurer une garantie financière permettant de prendre en charge les dommages causés. La fraude est manifeste. Quel châtiment sera à la hauteur ? et après tout, qu'importe ?
Il faut bien cependant que l’urgence psychologique soit prise en compte. Ces femmes, en particulier celles qui ne disposent pas des 3000 € nécessaires à l’opération, doivent être rapidement secourues ou elles vont faire des dépressions nerveuses qui s’avèreront bien plus coûteuses à la collectivité que de leur garantir rapidement une explantation/ réimplantation.
Les spécialistes disent que si l’apport d’un implant à visée esthétique n’a pas eu l’effet de gonfler le sein de plus de 1,5 fois son volume initial, la peau extérieure se rétracte après une explantation en environ un mois et revient à sa forme initiale. La réimplantation d’une nouvelle prothèse n’est donc pas obligatoire.
Je suis prête, moi, à apporter un soutien financier volontaire à un fonds d’indemnisation des victimes, car la sécurité sociale ne devrait pas, en bonne logique, rembourser les opérations esthétiques non motivées par une maladie. Les chirurgiens esthétiques doivent aussi faire un effort ….Les fabricants d’implants mammaires sérieux pourraient également sponsoriser – en le faisant savoir – la substitution. Il faut rassurer les femmes, arrêter de les culpabiliser, les écouter, les materner enfin, et vite ….
En cette période de fin d’année, une semaine un peu à part, je pense beaucoup à ceux et celles qui souffrent dans leur corps et aussi dans leur esprit !