Affaire terminée, j'arrive ! - Chapitre 18 (2)
Chapitre 18 (2) – Clap de fin
Je rassure mon patron et illico, avec Lebrun en remorque, nous filons faire les démarches nécessaires. Il nous faut d'abord aller à Versailles, aux Petites Écuries, puis revenir à l'École Militaire à Paris, enfin en deux jours, nous redevenons civils, administrativement en tous cas. Car l'uniforme, il y a bien longtemps que nous ne le portons plus.
A quelques temps de là, Lulu obtient des services administratifs un ordre de mission pour aller chercher notre petite Claudie qu'elle avait dû confier à des amis lors de son départ d'Alger. A celui qui ne savait pas sur quel chapitre budgétaire inscrire cette dépense, elle suggère de l'imputer sur les crédits de matériel. ... Il reste toujours des disponibilités pour le matériel ! Munie de son sésame, mais aussi de pas mal de sang-froid et de culot, vu l'organisation plus que précaire des transports qui n'en sont qu'au tout début de leur rétablissement, la voilà partie. Arrivée à Marseille, pas de bateau avant plusieurs jours. Qu'à cela ne tienne, avec un taxi faisant transport en commun, elle se rend à Cannes embrasser ses parents et leur apporter en même temps un peu de ravitaillement. Puis, départ pour Casablanca où elle règle nos affaires, emporte avec elle le strict nécessaire et part sur Alger. Le trajet s'effectue normalement, car là bas, pas question de gares bombardées et de ponts sautés. Arrivée à Alger, ma vaillante Lulu récupère notre petite Claudinette qui commençait à trouver le temps long chez ces gens bien gentils, certes, mais qu'elle ne connaissait guère. Et c'est le retour vers Paris, avec tous les aléas des transports qui n'ont pas d'horaires ...
A Paris, nous logeons maintenant à l'hôtel, rue des Carmes. Cela nous rapproche encore du bureau, et comme il n'y a pas de lit pour Claudie, j'en confectionne vite un avec la grosse malle-cabine que Lulu vient de ramener de Casablanca. Plus tard, après moult négociations plus une recommandation, nous obtiendrons du Cabinet du Ministre, un appartement à la Régie Immobilière de la Ville de Paris, au 68 du boulevard Soult, où nous resterons jusqu'à la retraite, c'est à dire vingt huit ans. Je cours toujours de par le monde. Le 6 octobre 1946, alors que je suis en tournée en Amérique du nord, naît notre seconde fille Marie-Pierre.
Un jour, Pierrette Terraz de passage à Paris et certainement mandatée par son man avec lequel nous sommes partis pour la guerre et fait toutes les opérations, me demande si je ne voudrais pas revenir à Casablanca pour travailler avec lui. Son offre est alléchante. J'avais eu l'occasion de bricoler bénévolement pour lui, sur des devis d'adjudications, quand il était à la bourre. Cependant, un peu que je connaisse son caractère et que surtout le travail que je fais me plait beaucoup, sans compter le fait que je gagne bien ma vie, à cause des frais de déplacements qui dans notre cas sont remboursés sur la même base que pour un ambassadeur. .. Si l'on ajoute à tous cela que nous sommes à la maison entourés d'établissements scolaires à portée de la main, ou plutôt à nos pieds, pour nos enfants..... Je décline gentiment son offre. Plus tard, il reviendra à la charge, mais sans plus de succès. Encore une fois, bien m'en a pris. Quelques années plus tard, c'est eux qui devront se replier sur la France, à la suite des incidents sanglants qui se produisent au Maroc. Finalement, nous les aiderons à repartir dans les affaires dans la mesure de nos moyens, et il créera une des plus grosses entreprises de bâtiment de la place de Paris.
Quant à moi, je continue à parcourir le monde avec les yeux grands ouverts. A cette époque, les avions ne volant qu'entre 3000 et 5000 mètres d'altitude, cela permet de bien voir tous les détails des panoramas. C'est comme cela que je verrai les cratères des plus grands volcans dont le Vésuve, l'Etna, le Kilimandjaro et ceux de la cordillère des Andes, parfois aussi j'appréhenderai certains atterrissages sportifs tels que Quito par exemple, où les montagnes s'élèvent à plus de 5000 mètres avec un avion qui plafonne à 3.000. Sans compter que les couloirs sont étroits : l'on a parfois l'impression que l'avion va toucher la montagne du bout des ailes, et quand par-dessus le marché il y a beaucoup de nuages, chose fréquente, il y a vraiment de quoi avaler sa salive, pendant un moment. Il y a aussi Hong Kong, avant que la piste ne soit allongée comme elle l'est actuellement. Une fois aussi, rentrant d'Amérique seul passager à bord d'un avion militaire, après un atterrissage délicat aux Açores, le pilote vient me glisser à l'oreille qu'il lui restait cinq minutes d'essence, broum ...
Une autre fois rentrant de Chang-Haï avec un avion américain ayant fini son temps dans le Pacifique, toujours seul passager à bord et l'équipage ayant liberté de parcours, j'ai pu voir de très près le palais du Taj Mahal, pierre précieuse de l'Inde.
Le temps passant, et avec une Lulu qui sait admirablement administrer son budget et moi qui ne gaspille pas l'argent, nous avons pu, au fil des ans, acquérir quelques biens et améliorer ce qui lui était revenu de ses parents. A plusieurs reprises j'ai été sollicité pour partir en poste à l'étranger. Mais cela comportait un inconvénient majeur : malgré tous les avantages, il aurait fallu changer de poste tous les trois ou quatre ans, problème majeur pour les études des enfants de diplomates. A cause de cela, on dit couramment que les enfants d'ambassadeurs sont rarement ambassadeurs. Après discussions avec Lulu, nous sommes convenus de rester à Paris.
En 1947, dans le métro qui me transporte au Bureau, je lis dans mon journal que la veille a été célébrée une messe en l'église de la Madeleine à la mémoire du capitaine Hacouët, mon commandant de compagnie pendant l'année 1939. J'en suis tout retourné car j'aurais tellement aimé y assister et revoir ainsi certains de mes camarades.
Parmi la nombreuse assistance mentionnée dans le journal, je note la présence du Général Campana, notre dernier commandant de régiment, de la Présidence de la République. J'hésite quelques temps, puis un beau jour, je lui demande audience. Il est très heureux de me recevoir, il se rappelle vaguement de moi et nous parlons longuement de tous les anciens du Premier Zouaves, et je lui dis comment j’ai appris sa présence à Paris. Il est très touché de la disparition du Capitaine Hascouët. A partir de là, nous correspondons régulièrement, quand un jour, par une estafette, je reçois à la maison une convocation du Général Campana. Je ne suis pas en retard pour m'y rendre. A peine arrivé dans son bureau, il remet sur le tapis mon action devant Villedomange, puis les circonstances de mes évasions, après cela il me tend un papier à remplir. C'est, ni plus ni moins, une proposition de promotion dans l’ordre de la légion d'Honneur. J'en suis abasourdi.
Je le remercie infiniment et m'en vais, tout guilleret, soudain tout gonflé de fierté et de bonheur. C'est comme ça que le 20 avril 1950, je puis lire mon nom dans le Journal Officiel. Dans ces mêmes temps, j'ai besoin de changer de portefeuille, le mien ayant largement fait son temps depuis avant et pendant la guerre. Je le vide complètement et l'examine sous toutes les coutures. Quelle n'est pas ma stupeur d'en retirer, du fond d'une poche, un demi-mark de captivité, tout fripé. J'en ai a posteriori des sueurs froides, une belle frousse rétrospective. Si jamais l'officier allemand qui m'avait tellement fait confiance l'avait trouvé, toute l'histoire à dormir debout que je lui avais racontée se serait écroulée, et c'était le retour au camp avec toutes ses conséquences. Et dire que Jean Billon, avant notre départ pour la ligne de démarcation, avait procédé à une inspection complète de nos affaires et surtout des portefeuilles ... A quoi tient le destin, parfois ?
Voulant visiter, avant qu'il ne ferme ses portes, le salon de l'Auto 1948, je dis à ma Lulu, qui ne travaille plus depuis la naissance de Marie-Pierre, de venir m'attendre à la sortie de mon bureau. Nous nous retrouvons dans le hall d'Air France, où elle se régale du va et vient des passagers de tout acabit, puis nous partons à pied jusqu'au grand Palais. Arrivés juste à l'angle du pont Alexandre III, nous croisons un grand militaire, nous nous dévisageons et ensemble, nous nous reconnaissons c'est Julien Beney, et nous étions tous deux chefs comptables au Premier Zouaves, nous nous étions vus souvent chez l'officier payeur de régiment. Nous parlons un peu du passé et du présent. Il me dit entre autres choses qu'il est au Ministère de la Guerre, service des décorations, qu'il a bien vu passer une demande de promotion au nom de Mens, mais comme il n'a jamais su mon prénom, il n'y a pas prêté attention. Il me dit:
- Dors tranquille, elle ne s'égarera pas.
Il en est tout heureux, d'autant plus qu'il est Chevalier lui-même depuis peu de temps. A dater de ce jour, nous ne nous sommes plus perdus de vue. Il est devenu un très bon ami de la famille. En 1972, partant pour la retraite, l'Administration Centrale m'a promu au grade d'Officier dans l'Ordre national du Mérite, décoration que je porte avec plaisir, comme les autres d'ailleurs.
Voilà la fin de cette histoire, celle qui vaut, selon mes filles, la peine d’être racontée. Ensuite, notre bonheur familial, lui, n’a pas besoin d’être conté……
FIN