Affaire terminée, j'arrive ! - Chapitre 10 (1)
Chapitre
10 (1) – Pierrette et Zizou
Jean est parti.
Nous sommes allées travailler ainsi
toutes deux un an. Je donnais à garder Claudie à une dame, Madame Bouchonnet,
qui avait été très perturbée par l'arrivée des allemands dans Paris. Elle
n'avait jamais eu d'enfants et elle adorait Claudie. Jusqu'au jour où la sœur
de cette dame est venue me dire que ce n'était pas raisonnable de confier un
bébé à une personne aussi fragile. Et de fait, un soir, pas de Madame
Bouchonnet. Nulle part trace de mon enfant. Ni de Madame Bouchonnet, pas plus
que de Monsieur Bouchonnet. L'angoisse.
Elle n'est revenue que très tard
dans la soirée, Elle était partie au port... Alors je me suis résolue à m'en
séparer.
J'ai trouvé une jeune fille de
quinze ans, Lorette, pour garder Claudie qui avait alors quatorze mois. Il
fallait absolument que je travaille, pour envoyer a Jean et surtout à mes
parents des colis, pour vivre enfin. Claude ne grossissait pas, au contraire,
elle dépérissait. Je ne comprenais pas. On avait déjà du mal à se procurer du
lait concentré. C'était Lorette qui le
buvait, et elle donnait de l'eau au bébé. Je ne m'en rendais pas compte. Pas de
nouvelles de Jean. A partir du mois de mai jusqu'au mois de décembre, je suis
restée sans nouvelles, rien. Il avait écrit, mais ses lettres n'arrivaient pas.
Tous les autres maris que je connaissais étaient rentrés.
On nous
annonçait :
- A la gare de
Casablanca, il arrive des Zouaves.
On prenait le
vélo, on allait à la gare, Claudie et moi, on attendait, je demandais
:
- Vous
connaissez le sergent-chef Mens ?
L'un des rapatriés me répondit un jour
- Oui, mais la
dernière fois que je l'ai vu, il était en mauvaise posture ..
Je rentrais
désespérée. Il fallait tout de même partir travailler.
Pierrette, plus
vigilante que moi côté argent, est allée voir les Anciens Combattants.
- Vous
savez ? Nous avions un emploi aux Chaux & Ciments et on nous a mises à
la porte comme des malpropres !
Eh bien, dans
la matinée, un chaouch nous cherchait partout car le patron nous
demandait :
- Comment, mesdames, vous vous êtes
plaintes ? Ils nous ont payées deux mois supplémentaires d'indemnités,
mais nous ne fumes pas réembauchées. Entre temps, Renaudin avait, lui aussi,
été démobilisé et avait repris ses activités. Il n’avait pas beaucoup de
clients. Je travaillais pour lui à temps partiel. J’avais aussi trouvé chez mon
assureur un complément en secrétariat. Un jour, en rentrant à la maison, Je rencontre dans
l'ascenseur une grande femme. Je l'avais déjà aperçue plusieurs fois, je savais
qu'elle avait emménagé à l'étage au dessus quelques temps auparavant. Une
magnifique femme, grande, avec un chapeau, monte dans l'ascenseur avec moi
- Bonjour, Madame ...
Sans doute devait-elle savoir que
mon mari était prisonnier.
Elle engage la conversation et tout à trac me
déclare:
- Je
suis très embêtée, cela fait deux fois que Je suis réglée dans le même mois !
Je me suis réellement demandé à ce
moment comment une femme qui adresse la parole à une autre la première fois peut en arriver à lui parler comme ça !
Quelques jours plus tard, elle m'arrête à nouveau dans l'immeuble. - Vous êtes
secrétaire? Vous savez, il y a une
place au Tribunal du Pacha, vous devriez venir travailler avec moi. Vous travaillez
beaucoup en ce moment ?
- Non, pas exactement, une
demi-journée ici et une autre ailleurs, mon mari est prisonnier .... Nous
commençons à lier connaissance.
- Moi, mon mari est inspecteur de
police, il n'est pas parti. Je travaille au Tribunal du Pacha, la
secrétaire s'en va, vous devriez venir. Je vais parler de vous à mon patron.
Elle ne me connaissait pas, elle ne
savait pas ce que je valais. Elle
revient sonner à ma porte quelques temps après : - J'ai parlé de vous à mon
patron, il veut vous rencontrer, j'ai dit que vous étiez formidable. Tout de
suite j'avais compris combien Zizou était, elle, formidable.
Je vais donc me présenter à
Monsieur Delafosse, qui recherchait une sténo confirmée. C'est ainsi que je
suis entrée au Tribunal du Pacha, grâce à Zizou qui y était depuis huit ans
secrétaire de Monsieur Zagouri, président de la Communauté juive de Casablanca,
Commissaire du Gouvernement auprès du Tribunal du Pacha et qui faisait faire
tous ses travaux de secrétariat à l'extérieur, car Zizou, sa secrétaire en
titre, était surtout sa secrétaire très particulière. Il était très âgé et
Zizou me disait :
- Mais je ne couche pas avec ...
- Moi, vous savez, cela m'est
parfaitement égal. ..
- Mais j'ai un amant. Michel. Il
tient une guinguette ... Pour mon mari, cela ne lui arrive qu'une ou deux fois
par an ! Et de fait, celui-ci m'avait
confié :
- Vous voyez, Lulu, moi, je suis du
matin. Et Zizou :
- Moi le matin, je dors, je suis du soir. Ce n'est pas possible ! On ne se rencontre jamais.