L'affaire Lacenaire, par Anne-Emmanuelle Demartini
Je ne me souviens plus du tout ce qui m’a fait penser au personnage de Lacenaire, un des familiers de Garance, dans « Les enfants du paradis », l’un de mes films préférés, superbement interprété par Marcel Herrand, Michel Piccoli en 1957 à la télévision ainsi que par Daniel Auteuil en 1993 …
Toujours est-il que j’en ai cherché sa biographie, qui est surtout une analyse des sentiments et de l'ambiance politique de cette période du premier quart du XIXème siècle.
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Mais je n’avais pas perçu qu’il s’agissait d’une thèse publiée en 2001 et déjà plusieurs fois rééditée, un gros bouquin de plus de 500 pages. Anne-Emmanuelle Demartini, son autrice, est une historienne spécialisée dans les études de criminologie, ses représentations, sensations et imaginaires sociaux du XIXème siècle à nos jours. L’affaire Lacenaire, qui défraya la chronique sous la monarchie de juillet, devait nécessairement attirer son intérêt.
Et c’est un cas particulièrement intéressant, surtout par l’exceptionnelle médiatisation auquel il a fait l’objet à l’époque, celui de ce Don Juan de l’assassinat, ce monstre qui pourrait aujourd’hui être comparé à Fourniret ou Dutroux … avec le romantisme en plus.
Pierre-François Lacenaire, né en 1803, est un beau jeune homme, issu de la bonne bourgeoisie commerçante lyonnaise, cultivé et élégant, est jugé aux assises en novembre 1835. Multirécidiviste, accusé de sept assassinats ou tentatives, qu’il revendique haut et fort, d’escroqueries et de faux en écritures (une trentaine), il se déclare en guerre contre la société qui l’a rejeté et a refusé de reconnaître ses talents littéraires.
Ne craignant nullement la mort, il représente à la fois le génie et l’abjection. Ses facultés éminentes soulignant l’étendue de sa chute, sont un facteur aggravant qui font de lui un criminel sans excuses. Son procès va devenir, grâce à la presse alors en plein développement, une affaire politique bénéficiant aussitôt d’un exceptionnel retentissement dans cette société post-révolutionnaire.
La presse légitimiste - donc opposée à Louis-Philippe – y voit le symbole de la corruption d’une société moderne parvenue au dernier degré de démoralisation pour avoir renoncé aux hiérarchies naturelles voulues par Dieu.
C’est en effet une époque, la Restauration - ou plus précisément la monarchie de Juillet - qui voit l’explosion de la criminalité en corrélation avec le développement urbain, l’afflux de migrants, l’aggravation des différences sociales, la croissance démographique, en particulier à Paris.
Lacenaire devient LE monstre, qui se revendique athée, appelle à la subversion et à la réforme pénitentiaire : déjà on souligne que les prisons communiquent avec l’extérieur … Un monstre bourgeois, alors que depuis la Révolution et l’effondrement des privilèges, l’argent et devenu l’unique facteur de différenciation sociale : l’assassin spécule à coup de couteau – ici un tire-point plus précisément.
Lacenaire, à la fois dandy, révolté et poète, conjugue les trois figures-phares de la singularité romantique. Après sa condamnation et avant son supplice il écrit beaucoup, et reçoit un nombre important de visites. Certains tentent de réveiller sa foi et provoquer son repentir dans l’imminence de la mort. En vain.
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Le 9 janvier 1836, en compagnie de l’un de ses complices, Lacenaire est guillotiné à la barrière Saint-Jacques. On allait vite en besogne en ce temps-là !
Jusqu’au bout il a bravé la mort sans solliciter de pardon. Cependant, la presse gouvernementale – le Garde des sceaux juge « inconvenant que l’on laissât croire aux masses que l’on pût avoir vécu aussi criminellement et mourir avec la sérénité d’un honnête homme » – le décrira sans courage au dernier moment et ses Mémoires, publiés quatre mois après sa mort, seront censurés et complétés de pages apocryphes.
Ainsi la manipulation du mythe qu’est devenu le monstre Lacenaire sera complète.
L’affaire Lacenaire, portrait d’un criminel en monstre, essai de Anne-Emmanuelle Demartini, éditions Biblis (CNRS), 542 p., 13€.