Cette vilaine affaire Stavisky, par Paul Jankowski

Faut-il être un universitaire américain – comme Robert O. Paxton avec son livre-référence sur la France de Vichy – pour analyser de manière objective les faiblesses de la société française de l’entre-deux-guerres et livrer un récit aussi documenté et passionnant du scandale qui secoua la IIIème République en 1934 ?

C’est un ouvrage déjà ancien (2000) mais qui se lit comme un thriller. Surtout à la lumière des « affaires » judiciaires et/ou politiques du moment.

Pour rappel : le 6 févier 1934, les manifestations organisées par l’extrême droite visant à envahir la Chambre des députés pour s’opposer à l’investiture du gouvernement Daladier sont violemment réprimées et laissent plusieurs morts sur le pavé de la place de la Concorde. 

Force reste à la loi mais la situation politique est explosive : l’antiparlementarisme – et même le sentiment anti républicain - est nourri par la crise économique et la politique de déflation et surtout par la succession de scandales politico-financiers qui ne trouvent pas de solution satisfaisantes aux yeux du public : le krach de la banque de l’Union générale en 1882, l’affaire des décorations en 1887, Panama en 1892, l’Affaire Dreyfus, l’affaire des fiches en 1900, les emprunts russes, l'affaire Rochette-Caillaux, la Banque industrielle de Chine, l’affaire de Marthe Hanau, la faillite du banquier Oustric, l’Aéropostale, l'héritage bidon de Thérèse Humbert et enfin, l’affaire Stavisky révélée à la Noël 1933.

L'auteur (né en 1950) décrit minutieusement comment transformer un fait divers en scandale national, au plus grand bénéfice des antisémites.

Une figure pourtant flamboyante, ce Serge ou Sacha Stavisky, d’origine ukrainienne, parti de minables escroqueries et mis en prison quelques mois en 1926, relâché pour raison de santé, mais jouant de son indéniable talent de charmeur pour séduire banquiers, hauts fonctionnaires, journalistes financiers, avocats, médecins, assureurs, organes de contrôle administratifs … pendant une dizaine d’années.

On reste médusé devant la succession d’escroqueries relevant de la flagornerie et de l’abus de confiance à tous les niveaux, de la corruption au trafic d’influence et surtout l’immobilisme parfois complice des pouvoirs publics.

En fait, le scandale dans le scandale est que le système politico-administratif, par sa complexité et ses procédures byzantines, les luttes de pouvoir au sein même des administrations (la police, les ministères, les services judiciaires) ont laisser pourrir le dossier année après année pour repousser le jour du jugement … en atteignant souvent la date de prescription, souvent pour éviter de mettre en cause un député ... qui est aussi souvent un avocat.

Autres caractéristiques : le respect des fonctionnaires pour le pouvoir du parlement, la vénalité de la Presse dont la liberté n'est qu'illusion, la faiblesse du pouvoir exécutif dans un système parlementaire triomphant.

En fait, l'habile et séduisant Stavisky avait joué avec brio des appétits, des vanités et des hypocrisies d’hommes assoiffés d’influence : en distribuant force subsides, il avait exploité le prestige des députés, la faiblesse des fonctionnaires, les besoins de liquidités des journalistes et les ambitions des uns et des autres. Mais personne n'avait cherché à savoir d'où provenaient ses ressources.

Sa mécanique de fraude, en l’absence de systèmes de contrôle financier et dans une ambiance de libéralisme absolu – en particulier concernant la publicité des produits de placement proposés à l’épargne publique – est d’une grande simplicité : nommer des personnalités au conseil d’administration de sociétés fictives afin de recueillir des fonds nouveaux pour boucher des trous … jusqu’au grain de sable qui bloque la mécanique.

En juin 1935, 20 associés de Stavisky sont accusés devant la Cour d’assises de divers crimes et délits, escroqueries, fabrication de faux … Entretemps, le principal animateur de l’affaire, "Monsieur Alexandre", s’est suicidé, ainsi qu’un conseiller à la Cour de cassation qui avait eu en mains le dossier mais avait négligé d’y donner suite …

Seul élément à décharge : le vrai amour de Sacha pour son épouse Arlette et leurs deux enfants qui auront eu à porter le lourd patronyme de leur père …

Aujourd'hui, c'est le plus souvent à travers les mirifiques promesses d'influenceurs des réseaux sociaux que des milliers de gogos continuent à se faire plumer par des escrocs insaisissables ... Rien ne change !

Cette vilaine affaire Stavisky, histoire d’un scandale politique, par Paul Jankowski, traduit de l’anglais par Patrick Hersant, publié chez Fayard (collection Chroniques), 468 p., 30€