Conversations secrètes sous l'Occupation, par Antoine Lefébure
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Il y a très longtemps, au musée de la Résistance et de la Déportation logé au sein de la citadelle de Bezançon, j’avais été profondément troublée par un florilège de lettres de dénonciations.
Je découvre dans ce livre que ce ne furent pas tant ces lettres malfaisantes qui conduisirent nombre de voisins jaloux, de concurrents, d’époux haïs, de vigilants antisémites à l’arrestation puis à la déportation, mais le plus souvent des propos inconséquents, maladroits et dangereux, relevés soit dans des courriers privés soit lors de conversations téléphoniques interceptés par les services spécialisés de l’administration des Postes, sous Vichy puis sous la férule allemande.
L’interception des correspondances privées ne fut toutefois pas une invention du XXème siècle : le plus habile des déchiffreurs employés par Louvois, ministre de Louis XIV, s’appelait Rossignol. Il donna son nom à la clé passe-partout. Cette pratique a toujours fait partie de l’arsenal des outils de surveillance à la disposition de l’Etat.
Vichy met en place une administration toute puissante, débarrassée des contraintes imposées par le régime parlementaire, conçue par une élite d’ingénieurs déterminée à faire jouer à la France un rôle éminent dans « l‘Europe nouvelle », dont Philippe Berthelot, nommé Secrétaire d’Etat aux communications, qui est très favorable à la collaboration.
Cependant, beaucoup d’agents des PTT se contentent de faire leur travail avec le minimum d’efficacité : l’art est de rendre le moins de service possible sans pour autant se faire accuser de sabotage. La résistance la plus dangereuse popur l'ennemi fut celle de l’ingénieur Robert Keller, mort du typhus à Bergen-Belsen la veille de la libération du camp.
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En juillet 1941, Darlan nomme Pierre Pucheu secrétaire d’Etat à l’Intérieur pour faire la chasse aux éléments anti-nationaux : résistants, juifs, réfractaires … Laval revenu au pouvoir prend en mains le Service des Contrôles Techniques avec notamment le redoutable René Bousquet. Le SCT emploie alors 15000 personnes qui chacune doivent examiner 200 lettres par jour. Des synthèses sont rédigées chaque semaine et transmises en haut lieu et aux Allemands.
Avec Bousquet, la traque des suspects se professionnalise, en particulier dans la gestion des fichiers … L’ancien carnet B (créé en 1912) est remplacé par le Fichier S des individus considérés comme dangereux pour l’ordre public, agitateurs et propagandistes … et permettant des arrestations préventives. Devançant les demandes des Allemands, Bousquet partage ses informations avec Heydrich comme lors de la grande rafle du Vel d’Hiv de juillet 42.
En décembre 1943, Laval nomme Darnand au super ministère de la sécurité intérieure, mais les Allemands prennent bientôt la main sur les activités du SCT en mars 1944.
Après la Libération, le SCT fait naturellement l’objet d’une épuration. Mais le nouveau pouvoir a plus que jamais besoin de lui pour le maintien de l’ordre et la connaissance de la température de l’opinion, en particulier pendant la guerre d’Algérie, pour la surveillance des activistes.
Sous le Premier ministre Michel Debré, il devient le GIC, situé toujours aux Invalides (Groupement Interministériel de Contrôle).
Une histoire de secrets dont l’Etat ne peut jamais se passer … Une masse de documents pleins d’émouvants témoignages, mais qu’en est-il aujourd’hui avec la digitalisation des flux de données et l’intelligence artificielle ?
A prolonger par l’ouvrage le plus récent de l’auteur : Vie et mort du secret d’Etat.
Conversations secrètes sous l’occupation, essai d’Antoine Lefébure (1978), édité chez Tallandier, 381p., 22,50€