La terre, roman d'Emile Zola (1887)
Extraordinaire modernité que ce roman publié en 1887 et qui a pour cadre une famille de paysans beaucerons. Au-delà d’une tragédie familiale qui rappelle les Atrides, Zola explique toutes les contradictions de l’agriculture de son époque, et montre à quel point, à près de 150 ans de distance, peu de choses ont fondamentalement changé dans la dureté de la condition paysanne.
Aléas climatiques imprévisibles, sécheresses récurrentes et grêle dévastatrice, cherté du foncier, âpre passion de la possession (du sol, de l’argent, des femmes …) allant jusqu’au viol et au crime, éternelle controverse entre protectionnisme et libre-échange, utilisation des engrais ou culture biologique, querelles et rivalités séculaires de familles, de boutiquiers, du conservatisme face au communisme balbutiant, refus de la pression fiscale, même pour l’entretien à demeure d’un curé dans un pays encore plein de religiosité comme de superstitions.
La trame de l’histoire se déroule à Rognes, un village de 350 habitants, situé près de Chartres, un terroir de bonne qualité. Les premières pages ouvrent sur le geste auguste du semeur, Jean Macquart, frère de Lise Guenu et de Gervaise. Il a 29 ans. D’abord menuisier puis tiré au sort, il a été caporal dans les campagnes d’Italie. Il s’est « reconverti » en valet de ferme à la Borderie, la riche exploitation de Monsieur Hourdequin, un homme ouvert aux techniques nouvelles de culture mais dominé par sa servante-maîtresse, Jacqueline dite la Cognette.
Jean rencontre Françoise, une des filles Mouche, quatorze ans … et c’est là que l’histoire s’emballe.
Car nous entrons dans l’intimité de la famille Fouan. Un couple de vieux paysans, relativement aisés, qui décide de faire donation partage de ses biens, moyennant rente viagère, à ses trois enfants : Hyacinthe dit Jésus Christ, incorrigible alcoolique jouant les pétomanes, Fanny, bourgeoisement mariée, et Buteau, le dernier de la fratrie, roublard têtu comme une mule et bien décidé à tirer de cette affaire le meilleur bénéfice, à tout prix. Il a engrossé sa cousine Lise, la sœur aînée de Françoise, mais refuse de l’épouser comme de ratifier le partage. Pas tant que … celle-ci n’hérite à la mort de son père, d’une terre voisine de la sienne et d’une maison familiale.
Le roman se lit comme un thriller. Il ruisselle de haines recuites, de jalousies entre frères et entre sœurs, de coups fourrés pour carotter des magots parfois imaginaires, de violence et de ressentiments inavouables.
Arrivé sans rien dans ce village où il va passer dix années et travailler de toutes ses forces avec bienveillance, Jean en partira comme il est venu avec comme seule perspective de réintégrer l’armée qui s’apprête à se fracasser contre les Prussiens. Nous le retrouverons dans La Débâcle.
Décidément, Zola, quel conteur !
La Terre, 15ème opus de la série des Rougon-Macquart, disponible en plusieurs éditions de poche ... et pour moi dans la collection reliée réalisée par Edito-Service il y a très très longtemps, et illustrée par TIM.