L'Afrique d'abord ! Essai de Thomas Deltombe
" La France du XXIe siècle sera africaine ou ne sera pas », écrivait François Mitterrand dès 1952.
Je poursuis mes investigations dans le but de comprendre l’attachement des générations qui m’ont précédée à l’importance « vitale » de notre empire colonial. A ce titre, l’essai de Thomas Deltombe sur la fulgurante carrière politique de François Mitterrand au lendemain de la Libération tord le cou à une hagiographie largement instillée par le personnage lui-même.
Et l’on peut dire que l’auteur n’y va pas avec le dos de la cuillère, jetant à bas la figure d’un Mitterrand anticolonialiste : « François Mitterrand était en réalité un ardent défenseur de l’Empire français mais il avait compris, comme quelques autres, que la seule manière de le préserver était d’en modifier certaines caractéristiques : entreprendre des réformes permettant de conserver l’essentiel tout en coupant l’herbe sous le pied des contestataires, à commencer évidemment par les mouvements anticolonialistes. Le réformisme de Mitterrand n’était donc pas anticolonialiste, comme ont voulu le croire à l’époque certains de ses concurrents politiques et comme il l’a prétendu par la suite : il était procolonialiste. Son but n’était pas de mettre fin au système colonial mais au contraire de l’« améliorer », afin de le faire perdurer. En ce sens, il était bien, en effet, un homme de son temps : il était convaincu, comme toute la génération politique de l’après-guerre, que la « grandeur de la France » reposait sur son empire colonial. Et, d’abord, sur l’Afrique. »
La période étudiée – les années cinquante – est bien oubliée aujourd’hui. L’avantage en est que les protagonistes de cette époque ont pour la plupart disparu et que certains tabous tombent en désuétude. On arrête donc de vénérer les « vaches sacrées » et de gober le discours que, tels l’ancien président, a patiemment développé autour de sa personne.
Le sujet de l’émancipation des peuples composant l’empire colonial français est, au lendemain de la guerre, peu traité par les politiques. François Mitterrand va s’en faire une spécialité pour promouvoir sa carrière. Le dilemme est alors entre assimilation et association. Autre question : que deviendra l’empire face à la construction européenne.
François Mitterrand prône, pour les pays d’Afrique, un libéralisme restrictif et instrumental : la France doit procéder à des réformes afin de libérer les Africains de leurs chaînes mais elle doit dans le même temps ériger autour d’eux un enclos, moins visible mais bien verrouillé, qui les maintiendra à l’intérieur de son indispensable « pré carré ».
François Mitterrand apparaît ainsi comme le théoricien du néocolonialisme et de la politique coloniale de Pierre Mendes-France.
La série d’attentats en Algérie de la Toussaint 1954 frappe au cœur la « France méditerranéenne ». François Mitterrand, ministre de la Justice de Guy Mollet, approuve les pouvoirs spéciaux, la répression et la torture. Au Cameroun, il y aura une vraie guerre – totalement passée sous silence – contre les indépendantistes …
Passionnante aussi est la trajectoire de Félix Houphouët-Boigny, rallié aux thèses françaises, richissime planteur, ministre et patron indéboulonnable du RDA (Rassemblement démocratique africain), soutien du parti charnière de Mitterrand à l’assemblée nationale, l’UDSR.
Avec le retour aux affaires du général De Gaulle, Mitterrand perd tout, et suprême humiliation, le général applique sa politique. Il va donc devenir le chantre de l’antigaullisme …
Quelle habileté, même si elle est fondée en partie sur une autobiographie largement réécrite.
Et, comme le dit l’auteur dans son épilogue : « Qu’un homme politique mente n’a, en soi, rien de surprenant. C’est en quelque sorte, la règle du métier. Plus intrigante est l’attitude des journalistes, des biographes et des historiens lorsqu’ils prennent pour argent comptant les mythologies qui leur sont servies. »
L’Afrique d’abord ! – Quand François Mitterrand voulait sauver l’Empire français. Essai de Thomas Deltombe publié aux éditions La Découverte, 341 p., 22€.