Houris, roman de Kamel Daoud
Houris : femmes très belles, vierges, accordées au paradis par Dieu au nombre de 72, ainsi que le bonheur éternel, à chaque martyr de l’Islam. C’est ici le nom donné par Fajr (Aube) à l’enfant qu’elle porte depuis peu et qu’elle ne veut pas garder.
Car pour elle, rescapée à 5 ans d’un abominable massacre, la vie de femme ne vaut pas la peine d’être vécue dans l’Algérie d’aujourd’hui. Avant de prendre sa décision définitive, Aube qui porte sur sa peau la cicatrice de son égorgement raté, veut retourner dans son village martyr pour retrouver les traces de sa grande sœur qui lui a permis de survivre, aux dépends de sa propre mort.
C’est donc un pèlerinage vers les montagnes de l’Ouarsenis où se situait jadis la ferme de leurs parents, qu’entreprend la jeune femme, fuyant l’atmosphère de sacrifices et d’égorgements des moutons de la fête de l’Aïd. Mais on ne voyage pas impunément sur une route déserte lorsqu’on est femme, et seule. Ce sera pour elle, dans l'Algérie d'aujourd'hui, un très cruel « road trip » parsemé d’épreuves cruelles.
Aube porte en elle le témoignage d’une guerre civile qui a ensanglanté l’Algérie pendant la décennie noire entre 1992 et 2002. Alors même qu’à la différence de la guerre d’indépendance contre les Français dont on célèbre les vétérans, une loi punit quiconque évoque désormais ce conflit d’une violence inouïe. Cette guerre fratricide est devenue un tabou.
Durant son épopée, Aube fait des rencontres : Khadija l’avocate, Aïssa le libraire qui n’arrête jamais de parler et de rouler avec, dans son fourgon, son stock de livres de cuisine, Mimoun le pêcheur, Hamra la rousse flamboyante, l’imam boucher et son jumeau maudit H’med…
Chacun raconte son histoire, toute d’intolérance et de sang, mais avec en toile de fond, toujours, l’asservissement des femmes.
Un texte parfois difficile, un style ciselé, brillant, avec des « arabesques » et moult retours en arrière, une réflexion sur la question fondamentale de la vie et de la mort, de la soumission et de l’oubli imposé, la colère et la violence partout affleurantes, frémissantes, incandescentes. Brrr …
Houris, roman de Kamel Daoud – Prix Goncourt 2024 – édité chez Gallimard, 412 p., 23€