Aventuriers, pèlerins, puritains, les mythes fondateurs de l'Amérique par Agnès Delahaye
A la découverte des résultats de l’élection sans bavure du président américain, je me suis demandée comment un peuple aussi évolué avait pu donner la préférence à un tel politicien et à ses idées … Le livre de cette spécialiste de la civilisation américaine et de son histoire coloniale nous replonge dans la saga des premiers settlers du début du XVIIème siècle et nous en donne des clés …
Le titre dévoile le plan : trois sagas centrées chacune sur la biographie de figures éminentes : l’aventure de John Smith, l’odyssée des pèlerins du Mayflower, la gouvernance musclée du puritain John Winthrop.
Rapidement apparaît autour de ces pionniers le mythe masculiniste blanc des Etats-Unis, ceux qui quittèrent tout pour une installation pérenne dans ces nouveaux territoires.
Il faut en effet à l’Angleterre, minée par des querelles religieuses, rattraper le retard pris face aux empires catholiques. Une manière aussi de « déporter » une population sans terre chassée par le mouvement des enclosures, envoyer au loin des pasteurs ultra-radicaux.
Au début, les premières vagues d’immigrants sont décimées par les maladies, l’incapacité de produire de la nourriture et de se protéer de l’hiver, la résistance des autochtones. John Smith, aventurier au service de la couronne britannique, est capturé en 1607 par le chef Wahunsenaca. Il est « sauvé » par sa fille – qui n’a alors que 10 ans – Pochahontas (ci-dessous lors de son baptême).
La légende commence. Le livre remet en place certains éléments …
Symbole de la liberté protestante en exil, communauté souffrante et solidaire, les passagers du Mayflower sont le premier contingent anglais à s’installer de manière permanente en territoire wampanoag, après s’être déjà été exilés à Amsterdam puis à Leyde. C’est une communauté de calvinistes rebelles à l’autorité de l’église anglicane. Ils sont qualifiés de puritains ou de séparatistes. Ils débarquent dans la baie de Plymouth en décembre 1620 : 20 familles dont la moitié périt durant le premier hiver.
En novembre 1621, la colonie survivante célèbre la première récolte par un repas frugal : la tradition de Thanksgiving est établie. Après 6 années, la réussite commerciale de la colonie est reconnue par la métropole. Car à l’origine, il s’agit essentiellement de créer un courant d’échanges, un investissement qui doit être rentable, rembourser les dettes contractées avant le départ, verser des dividendes. La réussite commerciale et l’autonomie politique fournira à l’imaginaire américain le mythe conquérant de la jeune république : longévité et unicité.
En réalité la tradition de Thanksgiving a été inventée au XIXème siècle pour s’étendre du nord-est puritain aux autres régions du pays moins religieux : l’occasion de célébrer la paix sociale et la réussite économique sous l’œil de la Providence, et d'intégrer les nouveaux arrivants.
L’homme qui a surtout marqué la période est John Winthrop, gouverneur de la Compagnie de la baie du Massachusetts à partir de 1630. A la différence de la Virginie qui s’est spécialisée dans la monoculture (tabac) ou des Caraïbes (sucre), Winthrop œuvre d’abord pour la survie des colons avant de dégager des surplus commerciaux. Sa réussite est éclatante, il décrit abondamment la justification du modèle économique, social et religieux profondément colonial de son action, y compris par la violence et la guerre contre les autochtones – du moins ceux qui survivent aux virus apportés par les immigrants.
Bientôt, en effet, il convient de repousser toujours plus loin les Indiens, les colons se considérant comme envahis et obligés de se défendre.
Ainsi s’instaure une société qui se dote de lois, plus proches du droit romain que de la common law, qui abolit explicitement les traditions féodales anglaises qui lient encore les sujets anglais à leurs seigneurs.
Une société éminemment masculine, où les femmes n’importent que par leur capacité à générer des enfants, où le gouverneur ne cache pas son horreur des déviances sexuelles qui pourraient provoquer la dégénérescence de la population coloniale …
Les mythes ont la vie dure. Chez nous, c’est Louis XIV ou Robespierre. J’ai enfin compris pourquoi une majorité d’américains en étaient, de nos jours, encore restés là !
Aventuriers, Pèlerins, puritains, les mythes fondateurs de l’Amérique, par Agnès Delahaye, édité chez Passés/Composés, 272 p., 21€