La désinvolture est une bien belle chose, par Philippe Jaenada
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Toujours hanté par les personnages dont il a raconté la tragique histoire, Philippe Jaenada pense à une très jeune femme, morte en 1953 après s’être jetée par la fenêtre d’un hôtel miteux du quartier Montparnasse … et, à travers son destin tragique, décortique avec son acharnement habituel la vie de tous les compagnons de cette superbe femme qui avait tout pour elle – semblait-il.
Cet écrivain prolixe s’attache à retrouver la vérité, remonte le temps, relit sans relâche les milliers de procès-verbaux d’affaires criminelles, y retrouve des contradictions, des mensonges, des omissions volontaires ou pas, pour mettre au jour des révélations qui n'intéressent plus personne. Il lutte contre l'oubli.
A cette fin, il s’est constitué un réseau de correspondants – archivistes, érudits, journalistes, juristes …- qui lui dénichent des documents enfouis dans les tonnes de traces que chacun de nous laisse sa vie durant …
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J’avais déjà apprécié son style inimitable dans « Au printemps des monstres » et «La serpe », son ardeur sans limite à pister le moindre indice et sa manière d’y mêler ses impressions personnelles, le plus souvent pleines d'humour. Mais il faut prévenir le lecteur : une fois « entré » dans son enquête, il est bien difficile de s’arrêter avant la fin.
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Ici, le propos est de faire le portrait d’un groupe de jeunes gens soixante-dix ans après cette période de l’après-guerre : les zazous, style Juliette Gréco, les caves de Saint-Germain des Prés … une génération d’enfants qui avaient 11 ans en 1944, fracassés par le conflit, pour certains devenus orphelins de parents raflés et disparus à jamais.
A travers les extraordinaires images de Ed van der Elksen, photographe néerlandais et son album Love on the Left Bank, Philippe Jaenada s’attache à révéler les plus infimes détails de la vie de ces jeunes récalcitrants, qui survivent d’expédients – une autre forme de délinquance mais pas si éloignée de celle d’aujourd’hui - refus de tout travail, bitures, sexe, prostitution, usage de drogues, trafics en tous genres.
Une philosophie à la dérive : la figure évanescente de Guy Debord qui refera surface en 1968 … mais qui se souvient de Guy Debord et du lettrisme ?
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L’écrivain entreprend un tour de France « par les bords » - en tout 5342 km et quelques litres de whisky - en mettant bout à bout les bribes de biographies de son héroïne Jacqueline Harispe (1933 – 1953), en commençant par celle de ses parents, de son dernier amant Boris Grgurevich, présent dans la chambre du suicide.
Une occasion d’évoquer le contexte de l’époque : les exactions du Csar (la Cagoule), le traitement réservé aux jeunes filles qui fuguent et couchent avant leur majorité, la vie dans les « maisons de redressement », les grossesses mal assumées, l’allure Saint-Germain des Prés (joli visage, longs cheveux raides, pantalon, gros souliers …).
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Le titre de l’ouvrage est issu du Manifeste de l’Internationale lettriste publié en 1953. Mais c’est avant tout un constat bien sinistre : la misère, la crasse, l’alcool, l’abandon … Certains deviendront artistes (comme Vali Myers), d’autres sombreront dans l’anonymat ou se suicideront … comme la belle Jacqueline, dite Kaky, écrasée devant l’hôtel Mistral, 24 rue Cels.
La désinvolture est une bien belle chose, roman de Philippe Jaenada, publié chez Mialet-Barrault, 487 p., 22€