La Carlingue, la Gestapo française du 93, rue Lauriston, par David Alliot
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De loin la plus puissante, la plus crainte et la plus haïe des Gestapos françaises – ces véritables mafias opérant dans toute la France, voici l’histoire de la sinistre bande de supplétifs des occupants, ces malfrats de la rue Lauriston.
La génération des contemporains de cette époque a maintenant disparu et le sujet n’est plus tabou. J’en veux pour preuve la floraison des romans historiques qui paraissent sur cette période : chez Jean-Christophe Portes, Pascal Chabaud, Romain Slocombe, entre autres …
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J’en avais pourtant beaucoup appris cet été en lisant 8 des 10 volumes de la monumentale Histoire des Français sous l’occupation d’Henri Amouroux, mais là, je suis sidérée devant la cruauté de l’équipe de la Carlingue, l’exposé de ses exactions à Paris et en Limousin et Dordogne, la noirceur des biographies de ses chefs Henri Chamberlain (1902 – 1944) et Pierre Bonny (1895- 1944), comme de leurs affidés.
L’auteur commence par décrire les facteurs d’épanouissement des mafias, toujours valables aujourd’hui dans le monde : l’affaiblissement de l’Etat, les périodes de guerre et l’émergence d’une économie « grise », la forte hiérarchie verticale, une capacité hors norme d’adaptation aux circonstances et aux nouvelles technologies, alliances transfrontalières via les diasporas.
Dès le 27 juin 1940, le commandement militaire allemand s’installe à l’hôtel Majestic (Otto von Stülpnagel), le Service de renseignement et de la sécurité au Lutétia (Abwehr). Les Allemands ne sont pas assez nombreux pour contrôler le territoire mais surtout pour permettre une coupe réglée des ressources de la France. Ils vont déléguer la tâche à des Bureaux d’achat sous la direction de Français étroitement contrôlés. La France va être saignée à blanc.
L’équipe la plus efficace est celle créée par un truand sans envergure, presque illettré mais très malin et sans aucun scrupule : Henri Chamberlain, dit Lafont. Ayant recruté une équipe de nervis parmi les malfrats qu’il délivre de leur prison, son activité commence par la fourniture industrielle de tout ce que requiert l’occupant : gonflement exorbitant des factures, extorsions, racket, trafics d’or … parallèlement progresse aussi l’activité de répression contre les Juifs et les Résistants : tortures (dont celle de la baignoire), assassinats ...
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Pierre Bonny, ex-policier renommé dans l'entre-deux-guerres mais véreux, rejoint l’équipe en avril 42, apportant à la Carlingue les méthodes de la police judiciaire et la rigueur administrative. Le tout sous le contrôle de l’Abwehr.
En 1943, pour combattre les maquisards de plus en plus actifs, les Allemands chargent l’équipe Bonny-Lafont de créer une brigade paramilitaire nord-africaine recrutée par l’intermédiaire de l’hebdomadaire Er rachid de l’Algérien Mohamad al Maadi, entièrement dévouée à la cause allemande. Cette troupe de 300 hommes (tous disposant d’un casier judiciaire chargé) va s’illustrer de façon spectaculaire en Limousin et en Corrèze : pillages, fusillades, otages, exécutions sommaires, viols …
Passionnante est cette histoire et surtout la destinée de ses acteurs, et du beau linge qui fréquentait les somptueuses fêtes données par Henri Lafont au 93 rue Lauriston : monde de la Presse, du spectacle, politiques, truands. La trajectoire de ceux qui ont survécu vaut le détour, de même que la fascinante postérité littéraire et artistique de cet épisode de l’Occupation.
Un sacré répertoire de «people». Un ouvrage historique qui se lit comme un roman noir.
La Carlingue, la Gestapo française du 93, rue Lauriston, par David Alliot, 557 p., 24,90€.