Histoire du Front populaire - 1936, l'échappée belle par Jean Vigreux
Evénement mythique inscrit au panthéon des Gauches, le Front Populaire a laissé de nombreuses traces dans les esprits et des peurs sans précédent pour une partie de la société.
Comparaison n'est pas raison : à l’heure où une formation politique se pare du nom de « Nouveau Front Populaire », il n’est pas inutile de revenir à la vérité historique de la victoire électorale d'avril 1936.
Revenons aux faits : aucun des partis du Front Populaire – socialistes, communistes et radicaux – ne songeait à faire la révolution. Mais le mouvement social qui a accompagné la victoire électorale a marqué durablement la société et notre modèle républicain, avec l’unité des gauches enfin possible, grâce au parti communiste (le discours de la main tendue de Maurice Thorez) et le feu vert du Komintern, et au désistement républicain.
L’union intervient dans un contexte de profonde crise économique et sociale et des émeutes des ligues d’extrême droite du 6 février 1934, et face à la montée du fascisme. Le mouvement est parti de la base, y compris des paysans, malgré les tâtonnements des partis de gauche toujours divisés car trouvant difficile d’opérer un virage à 180°.
Le mot d’ordre « Front populaire pour le pain, la paix et la liberté » est lancé par le PC à la veille du congrès du parti radical le 9 octobre 1934 mais le processus d’union est lent à s’établir. Après les manifestations unitaires du 14 juillet 1935, le ralliement du parti radical est acté ainsi que la réunification des syndicats CGT et CGTU.
Le scrutin se déroule les 26 avril et 3 mai 1936 : 84,3% de participation.
Les arguments des droites : « le Front populaire, c’est la faillite financière, la suppression des libertés républicaines, la guerre civile, la dictature révolutionnaire, la guerre étrangère ». La référence : la guerre civile espagnole.
Après le second tour, les droites font jeu égal avec les gauches. La majorité dépend des radicaux et l’USR, déjà très présents au Sénat. Le PC progresse, notamment en zone rurale et dans le centre. Il mord sur les radicaux. La SFIO revendique la direction. Léon Blum constitue son gouvernement auquel les communistes ne participent pas (veto du Komintern).
On connaît la suite : un immense mouvement de grèves avec occupation des usines (par crainte des lock-out) mais avec le respect de l'outil de production, la signature des accords Matignon le 7 juin qui apportent les congés payés, la semaine de 40 heures, les conventions collectives, l’élection des délégués du personnel.
Effervescence culturelle : cinéma, radiophonie, élévation de la durée de la scolarisation obligatoire à 14 ans, développement des Maisons de la Culture, un élan impulsé par Jean Zay.
Mais il y aura aussi la fuite des capitaux, les dévaluations successives, une réduction du temps de travail qui ne permet pas l’embauche attendue, la montée des périls et, face à la guerre civile espagnole, les tiraillements de Léon Blum entre neutralité derrière la Grande-Bretagne et interventionnisme. Les droites se déchaînent et luttent contre « le pouvoir judéo-bolchevique- maçonnique » avec Jean Béraud, Céline, Robert Brasillach … les attentats de la Cagoule… On les retrouvera à Vichy.
Le gouvernement démissionne le 21 juin 1937. Blum reviendra aux affaires brièvement en mars-avril 1938 … L’échappée belle n’aura pas duré très longtemps mais marqué durablement la symbolique des gauches. A noter, les analyses du dernier chapitre sur l'influence du Front populaire sur les intellectuels, l'Eglise, les patrons, les forces de lordre et l'appareil d'Etat, les espoirs déçus des femmes, les sociétés coloniales.
Il est bon de se reporter aux archives – l’ouvrage bénéficie de fonds nouvellement accessibles à Moscou – et de comparer ce qui est comparable, tant dans le contexte politique qu’international. Un livre concis, d'accès facile ... c'est pourtant rare de la part d'un universitaire.
Histoire du Front Populaire -1936, l’échappée belle, par Jean Vigreux, édité chez Tallandier, collection Texto, 412 p., 11€